DEUX SIECLES A L’INTIME FRATERNITE

L'Intime Fraternité, comme beaucoup d'autres loges, a vu disparaître ses archives alors que le régime de Vichy dominait le pays. Aussi, ce résumé de l'histoire de notre loge, extrait du travail réalisé par nos frères en 1987, à l'occasion du bicentenaire, souffre t-il, sans doute , de la perte irréparable que nous a infligée ce régime pervers, et de quelques insuffisances...

 

En corrèze, il est fait mention de tenues se déroulant à Brive en 1748. Elles inquiétèrent l'evêque de Limoges qui n'ignorait pas le contenu de la bulle du pape Clément XII, interdisant à ses fidèles de participer à des réunions maçonniques sous peine d'excommunication.

A Tulle, nous avons des copies de convocations à l'Intime Fraternité de 1775 et 1776.

Nous disposons également du tableau de la loge en 1780. Elle comprenait 29 membres plus 5 affiliés, ce qui prouve sa vitalité et son existence antérieure, sous le nom de "StJean de l'Intime Fraternité".

En 1781,la loge organise une fête gigantesque à l'occasion de ta naissance du Dauphin, premier enfant de Louis XVI. Des agapes conviviales se déroulèrent à minuit, après un bal populaire au cours duquel tonna le canon. Elles réunirent 150 convives sous les illuminations. La preuve est ainsi apportée, s'il en était besoin, que l'on a toujours aimé faire la fête à l'I.F....

1787 constitue l'année charnière au cours de laquelle les constitutions sont accordées. Le 29 Mai, le Vénérable de la loge, le Baron d'Escorbal capitaine d'artillerie à la manufacture d'armes, demande l'autorisation pour l'Intime Fraternité de procéder elle même à son installation. Il recevra cette autorisation le 4 Juin de cette même année. Il prétexte, dans une planche envoyée au G.O., que Tulle est à 20 lieues de la loge la plus proche. Ces propos ne manquent pas de heurter les frères de "L'Heureuse Alliance" d'Uzerche, qui disent n'avoir pas été consultés et rectifient l'appréciation de la distance, laquelle, selon eux, ne dépasse pas 4 lieues !

Néanmoins, le 9 Juillet 1787, la loge procède à son installation, mais compte tenu de diverses contestations, l'installation définitive n'est enregistrée que le 13 Août 1788.

L'I.F. ne perd pas de temps et dés le 30 Octobre de la même année, elle installe une seconde loge à Tulle, "Les Coeurs Unis", loge qui disparaîtra, semble t-il rapidement.

Avec la Révolution, on entend moins parler de la Maçonnerie, même si l'on compte un grand nombre de frères parmi les membres des Etats Généraux.

Ce n'est qu'au titre de l'année 1802 que l'on retrouve trace d'un tableau des membres de la loge, Ils étaient 91, ce qui laisse supposer une vitalité assez remarquable

En 1805, l'Intime Fraternité reprend ses rapports avec le Grand Orient de France.

Si les Francs Maçons se considéraient comme fils de la Révolution, ils n'en eurent pas moins de bons rapports avec l'Empire. Ainsi, apprend t-on que les Maçons Tullistes fétèrent dignement, le 23 Août 1807, l'anniversaire de la naissance de Sa Majesté.

A partir de 1813. nous perdons toute trace de ce qui se passe (ou ne se passe pas) à l'Intime Fraternité (dont ies membres, comme partout ailleurs, avaient souffert après la chute de Napoléon), jusqu'en 1830 où Hyacinthe d'Ussel,à 83 ans, relance la loge.

En 1833, le tableau de loge fait apparaître 77 noms ainsi que 28 noms de Polonais exilés suite aux événements liés au partage de la Pologne après le congrès de Vienne, en 1815.

Hélas, sous Louis XVIII et Charles X, les ateliers maçonniques font l'objet de tracasseries et une loi du 25 Mars 1834 soumet toute association à l'autorisation préalable de la puissance publique. Aussi, à partir de 1835, notre atelier entre t-il dans une période de silence, source d'interrogations, pour presque un demi-siècle...

La victoire de Gambetta aux élections d'Octobre 1877 met un terme à l'ordre moral institué par Mac Mahon et redonne force et vigueur aux frères de Tulle qui demandent la réouverture de leur loge. Le 8 Septembre 1878, les feux sont solennellement rallumés. Au cours des années suivantes, quelques dissensions internes troublent, à plusieurs reprises, la sérénité de la loge. Peut être est ce pour cette raison que l'on note, en 1885, un manque d'assiduité des frères de l'atelier dont les colonnes sont maigrement garnies. Il est difficile, en effet, de réunir le nombre nécessaire de frères pour remplir les offices d'une tenue !

La loge se lance donc, à cette époque, dans une politique de fort recrutement et se mobilise, dans le cadre des lois scolaires initiées par Jules Ferry. C'est ainsi que l'on retrouve un très grand nombre de Francs Maçons. dans la " Société de Patronage des écoles laïques ", association créée à Tulle en 1888, dont le noble but consistait à encourager et faciliter la fréquentation scolaire. Durant cette période, l'initiation d'un instituteur est un événement dans la loge pour les idées qu'il peut faire germer et grandir dans les jeunes coeurs.

En 1892, les frères de l'I.F. se mobilisent pour aider les 500 ouvriers licenciés de la Manufacture d'Armes. Jean Tavé, vénérable de la loge, élu maire de Tulle avec un bon nombre d'autres frères au sein du conseil municipal, préconise la création d'une école professionnelle orientée vers le travail du bois, du fer et de l'acier. En avance sur son temps, il imaginait la formation professionnelle comme moyen de lutte contre le chômage.

C'est à cette époque que se déroula l'affaire de la procession de la Lunade qui vit s'opposer, de façon assez inimaginable aujourd'hui, les cléricaux et les anti dont faisaient partie beaucoup de frères. Ceux ci recueillirent les fruits de leur ténacité anticléricale lorsque fut votée, en 1905, la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat.

En Janvier 1914, notre atelier comptait 102 membres, mais il allait connaître, comme beaucoup d'autres, un demi sommeil pendant la grande guerre (2 initiations seulement de 1914 à 1918).

Jean Tavé, qui n'avait pas été reconduit dans ses fonctions de Vénérable en 1923, meurt en 1925. Une page importante vient de se tourner...

Au cours de cette période d'entre 2 guerres, l'Intime Fraternité. ne cesse de lutter pour la paix et contre le fascisme naissant. Elle adresse au Grand Orient., le 6 Mai 1933, un vœu en faveur de la paix et de l'objection de conscience. Ce voeu ne sera pas exaucé puisqu'on 1939 arrive un nouveau conflit et avec lui un gouvernement qui déclarera nulles les obédiences maçonniques et liquidera leurs biens. A cet égard, le préfet Musso fait preuve, en Corrèze, de beaucoup de zèle et le domicile de nombre de nos frères fait l'objet de perquisitions le 11 Septembre 1941. Leurs noms sont publiés au J.O... L'immeuble, acquis en 1906 et où nous nous trouvons aujourd'hui, est mis à la disposition de la ville de Tulle qui y installe une école d'escrime dans l'actuelle salle à manger. La main levée de cette spoliation n'interviendra qu'en 1972. Les quelques biens mobiliers remis aux Domaines ne nous ont jamais été rendus. La perte fut bien plus conséquente pour les archives dont on n'a pas retrouvé trace. La bibliothèque, forte de 600 ouvrages, dont certains très anciens, fut cédée aux Archives de la Correze.

Fort heureusement, les enquêtes diligentées à l'encontre des Francs Maçons furent menées avec bien peu d'acharnement et de zèle par la plupart des fonctionnaires qui en étaient chargés. Néanmoins, quelques frères perdirent ainsi leur emploi. Parmi eux, je me bornerai à citer le nom de Martial Brigouleix, chef de la résistance en Corrèze, qui fut ensuite arrêté par les Allemands et exécuté au fort de Romainville, le 2 Octobre 1943.

Cet événement va précipiter beaucoup de nos frères dans la résistance...

A la libération, 19 frères sont disposés à rallumer les feux. L'Intime Fraternité est officiellement réinstallée le 6 Mai 1945. Une de ses premières actions consiste à œuvrer pour l'édification du monument à la mémoire de Martial Brigouleix.

 

Hélas, les effectifs diminuent au point que la loge doit être mise en sommeil en 1954. Les frères rejoignent alors la respectable loge "La Fraternité" à l'Orient de Brive, tout en conservant l'implacable volonté de redonner force et vigueur à l'Intime Fraternité. Pour ce faire, ils décident, d'une part d'intensifier le recrutement et, d'autre part, de rénover eux-mêmes le vieil immeuble, récupéré dés la fin de la guerre. Comme vous pouvez le constater aujourd'hui, cette détermination a permis de mener à bien ces 2 objectifs, au delà peut être de toute espérance...

Lors de la tenue du 20 Décembre 1974, l'atelier vote à une très large majorité en faveur d'un essaimage. Le 25 Octobre 1975, le Grand Orient de France accorde une patente à l'Intime Fraternité et désigne 3 Illustres Frères pour procéder à son installation. Celle ci aura lieu, dans la joie, le 7 Décembre de la même année, alors que la loge est forte de 30 maîtres et de 12 compagnons et apprentis.

Après un sommeil de 20 ans, l'Intime Fraternité reprenait un nouveau souffle et s'apprêtait à reprendre l'écriture des longues et belles pages de son histoire...

 

Tulle le 13 Mai 2000