« La discrimination positive est–elle démocratique ? » 

            Le premier travail consiste à essayer de définir cette expression « discrimination positive » qui allie deux mots qui de prime abord, ont des sens opposés. Le mot discrimination a une connotation négative bien marquée par le code pénal français qui précise que « la discrimination, c’est le traitement défavorable dont sont victimes les personnes vulnérables en raison de leur appartenance à un groupe défini par une caractéristique particulière »  et l’adjectif positif.

            D’autres questions se posent : Qui et quoi sont concernés par cette notion ? Comment se décline ce concept dans notre pays ?  

            Il y a ensuite le sujet de la planche « Est ce que la discrimination positive est démocratique ? ». Nous allons tenter de répondre à cette question à partir de la confrontation de cette notion avec les principes républicains de notre Constitution et par le biais d’une analyse des bienfaits et des méfaits des politiques de discrimination positive.

            Et puis enfin, il apparaît intéressant d’essayer d’y voir plus clair dans les relations, les corrélations qui pourraient exister entre ce concept et notre engagement maçonnique. Pour faire court, nous sommes des francs-maçons réunis dans ce lieu unique et sacré qu’est la loge. Nous réfléchissons ensemble à ce concept de discrimination positive. Mais en dehors du temple, que faisons-nous de ce concept ? Il s’agit, vous l’avez compris, de notre démarche qui consiste à essayer de poursuivre au dehors l’œuvre commencée dans le temple.

 

1)         Commençons par quelques définitions, tout d’abord celle du Petit Robert 2008 : « Le discrimination positive est une action visant à favoriser certains groupes sous représentés afin de corriger les inégalités ».

            Il en existe plusieurs autres, en voici une seconde « la discrimination positive correspond à l’ensemble des mesures destinées à permettre le rattrapage de certaines inégalités en favorisant un groupe par rapport aux autres, quitte à transgresser le principe de l’égalité des hommes en droit ».

            Une troisième « La discrimination positive est un principe général visant à procurer un avantage préférentiel à certaines catégories de la population afin de compenser une inégalité persistante de la situation. L’objectif est de rétablir les conditions de l’égalité des chances supposée remise en cause par une situation trop inégalitaire à l’origine ».

            Enfin une dernière qui a été formulée dans un rapport du Conseil d’Etat « la discrimination positive est un catégorie particulière de discrimination justifiée, mise en œuvre par une politique volontariste et dont l’objectif est la réduction d’une inégalité »

            Comme vous avez pu le constater, nous retrouvons dans ces définitions les mots inégalité, avantage préférentiel, groupe, catégorie. L’on voit bien d’emblée que ces mots ne s’inscrivent pas franchement dans nos valeurs républicaines. Nous constatons par ailleurs que la discrimination positive relève d’actes politiques.

            Plusieurs critères permettant de qualifier une discrimination positive peuvent être déduits de ces différentes définitions.

            Tout d’abord, il faut qu’à l’origine existe une inégalité de fait. Quels sont les domaines où apparaissent ces inégalités ? Nous avons le monde du travail qui génère des inégalités comme par exemple la discrimination à l’embauche. Nous avons le monde de l’éducation où il a été constaté que l’accès à certaines filières notamment les filières d’excellence (écoles d’ingénieurs, écoles de commerce, certaines universités, écoles de l’administration française permettant d’accéder à la haute fonction publique (l’ENA, l’ENM, ..) étaient très peu accessibles pour ne pas dire inaccessibles aux élèves dont les origines socioculturelles sont les plus modestes. Nous avons la problématique de l’aménagement de notre territoire qui n’a pas su éviter par exemple la création de zones urbaines sensibles et de quartiers défavorisés, zones ou quartiers où l’Etat et les services qu’il propose sont parfois quasiment absents. Zones où le taux de chômage des jeunes de 18 à 25 ans est le double de la moyenne nationale pour cette tranche d’âge.

            Ces inégalités socio-économiques, ces disparités territoriales créent des frontières. Les populations qui vivent dans ces périmètres sont ainsi répertoriés, catalogués.

            Juxtaposant ces discriminations, nous avons une société française qui comporte des différentiations. Ces différentiations sont de deux types :

-          il y a celles qui ne sont pas choisies et qui échappent à la libre détermination de chacun. On trouve là par exemple, le sexe, l’ethnie, le handicap physique,

-          il y a celles qui résultent de choix ou de non choix. Nous trouvons là par exemple la religion, les coutumes, les mœurs, le fait d’être né et de vivre sur un territoire particulier.

            La frontière entre les différentiations et la discrimination est fragile et l’on assiste parfois à une confusion entre ces deux notions. Confusion que l’on fait facilement car la discrimination s’applique le plus souvent à des groupes humains qui se caractérisent par une différentiation forte. Citons l’exemple des discriminations qui touchent les populations immigrées devant l’emploi par exemple, nous avons ici des populations qui affichent une différentiation d’ordre ethnique et qui sont l’objet de discriminations. Selon une enquête de l’Observatoire des discriminations (Université de Paris I) une personne d’origine maghrébine a cinq fois moins de chances d’obtenir un entretien d’embauche à CV équivalent.  Citons aussi l’exemple des discriminations devant l’école qui touchent une plus large catégorie de population qui va bien au-delà de considérations ethniques et qui s’applique à une catégorie socioprofessionnelle de défavorisés qui la plupart du temps vivent dans les mêmes endroits. Nous avons affaire ici à une différentiation d’ordre social et territorial qui se superpose parfois à une différentiation d’ordre ethnique. 

2)         Que pourrions-nous ajouter d’autre pour définir la discrimination positive ?

            Nous pourrions rajouter qu’elle est un mode de traitement préférentiel et différentiel qui s’adresse à nos sociétés de plus en plus diverses sur le plan ethnoculturel, qu’elle passe par la mise en place de quotas destinés à améliorer la représentation des groupes. Pour l’appliquer, il faut découper le corps social en autant de groupes et autres communautés susceptibles d’être représentés. Lorsqu’on s’y intéresse, on privilégie clairement une grille de lecture différentialiste de la France, on prend le risque alors de déchirer littéralement le tissu social. Or nous vivons dans une République avec une Constitution qui précise dans son article premier que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales ».

            Au regard de certaines de ces caractéristiques de la discrimination positive dont on sent bien qu’elles vont à l’encontre de nos principes républicains d’égalité, plusieurs thèses s’affrontent :

-          la première consiste à poser qu’on ne transige pas avec les valeurs et principes de la République. Ces derniers doivent primer sur toute considération de fait, donc pas de discrimination positive,

-          une deuxième thèse accepte que ces mêmes principes républicains soient suspendus lorsque la situation l’oblige. La discrimination positive est ici pensée sur le mode de la dérogation. Qui plus est, elle est considérée comme un acte politique temporaire, limité dans le temps, elle devrait disparaître une fois atteint l’objectif visé,

-          la troisième prône le dépassement du modèle républicain, la discrimination positive ouvre la voie à une redéfinition du pacte social sur la base du principe d’équité et non plus d’égalité. « Qu’y a-t-il au dessus de la justice : l’équité »[1] disait Victor Hugo. Pour ceux qui défendent cette thèse, la discrimination positive repose sur une conception de la justice qui privilégie l’équité sur la stricte égalité de traitement.

            Finalement c’est un compromis entre ces trois thèses qui a été adopté en France. Contrairement à ce qui s’est passé aux Etats-Unis avec la politique « d’Affirmative Action » originellement basée sur des critères ethniques (les noirs, les hispaniques) la discrimination positive sur une base ethnique est strictement interdite en France. Elle est basée sur les inégalités sociales ou géographiques en ciblant les zones urbaines sensibles et les quartiers défavorisés. La politique française ignore le groupe et se veut explicitement sociale. Ceci étant dit, n’est-il pas illusoire de penser une discrimination positive complètement étrangère à toute considération sur l’origine des individus ?

Quels sont les dispositifs législatifs et acteurs publics de la discrimination positive en France ?

            Nous avons eu en 1981[2], la création des zones d’éducation prioritaires (ZEP) qui a consisté à donner plus de moyens en termes de postes d’enseignants aux écoles où se concentrent les élèves rencontrant des difficultés scolaires et sociales particulières.

            A propos de ces ZEP, signalons l’initiative du directeur de l’IEP de Paris (Sciences Po) (Richard Descoings)  qui a institué une procédure spéciale de recrutement des élèves issus de ces ZEP. A la suite de Sciences Po, d’autres grandes écoles ont diversifié leur recrutement : l’ESSEC en 2002, HEC en 2007.

            En 1987, il y a la loi en faveur de l’emploi des travailleurs handicapés leur réservant 6% des emplois dans les organismes publics.

            En 1996, il y a eu la création des zones franches urbaines, des zones de redynamisation urbaine, des zones urbaines sensibles bénéficiant de mesures fiscales favorisant leur développement.

            En 2001, il y a eu une loi relative à la lutte contre les discriminations.

            En 2004, il y a eu la loi portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) avec le statut d’autorité administrative indépendante.     En 2005, nous avons eu une loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

            En 2006, nous avons eu un projet de loi sur l’égalité des chances qui prévoit notamment la création d’une Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances avec mise en place de 6 préfets à l’égalité des chances, des pouvoirs de sanction donnés à la Halde contre les individus ou les entreprises coupables de discriminations.

            Toujours en 2006, il y a eu une loi sur l’égalité salariale qui affichait l’ambition de supprimer d’ici à 5 ans les écarts de salaires entre hommes et femmes. Nous sommes bientôt en 2011, je vous laisse le soin d’apprécier si les objectifs de cette loi ont été atteints ou pas.             Enfin en 2008, il y a eu la nomination au poste de commissaire à la Diversité et à l'Egalité des chances de Yazid Sabeg.

            S’ajoute à cette mesure, une loi qui s’appuie sur une base sexiste, il s’agit de la loi datant de 1999 qui se rapporte à la parité en politique (conseil municipal par exemple). Cette mesure de discrimination positive en faveur des femmes déroge quelque peu de la règle qui veut que la discrimination positive s’applique aux minorités. Les femmes ne sont-elles pas plus nombreuses que nous les hommes ?

3)         Venons en maintenant à la question « la discrimination positive est-elle démocratique ? ».

            Si nous nous plaçons exclusivement sur un plan institutionnel, sur le plan de la loi, n’aurions-nous pas tendance à répondre que oui. Pourquoi, parce que nous vivons dans une démocratie représentative, que nous élisons nos représentants, que ces derniers proposent et votent des lois, qu’elles sont validées par le Conseil constitutionnel et appliquées. Que dire d’autre, des lois instituant des actions de discrimination positive ont été votées par une majorité, elles sont validées. C’est, me semble-t-il, le fonctionnement nominal d’une démocratie. Donc de ce point de vue, la discrimination positive est démocratique, les mesures prises restent dans un cadre légal.

            Par contre si nous nous écartons de cette vision froide, neutre de champ institutionnel, si nous considérons que ce qui est démocratique est égalitaire, si nous considérons que ce qui est démocratique est respectueux de la volonté et de la liberté de chacun, ne devrions-nous pas être plus nuancés dans notre réponse ?

            Si l’on relie exclusivement l’adjectif égalitaire à démocratique, est ce qu’alors nous ne pourrions pas affirmer que la discrimination positive n’est pas démocratique parce que comme indiqué plus haut, la discrimination positive repose sur une conception de la justice qui privilégie l’équité sur la stricte égalité de traitement.

            Par ailleurs, lors des propositions de définition de la discrimination positive faites plus haut, les mots ou groupes de mots suivants « mode de traitement préférentiel et différentiel » ; « découpage du corps social en autant de groupes et autres communautés susceptibles d’être représentés » ; « risque de déchirement du tissu social » ont été énoncés. Pensez-vous que ces mots là s’accordent avec le mot démocratie ?

            Essayons maintenant d’analyser en quoi les politiques de discrimination positive mises en place en France vont ou ne vont pas dans le sens du fonctionnement démocratique de notre pays.

            Pour ce faire, examinons d’une part les arguments avancés par ceux qui sont pour la discrimination positive et qui considèrent qu’elle n’entrave en rien notre fonctionnement démocratique et examinons d’autre part, les arguments avancés par ceux qui sont contre et qui considèrent qu’elle peut être un début d’entrave au fonctionnement démocratique de notre pays.

            Les principaux arguments des partisans de la discrimination positive sont les suivants.     Nous trouvons ceux qui mettent en avant l’argument économique. Ces derniers pensent que les dépenses sociales ou budgétaires devant se réduire à l’avenir, il faut être plus sélectif dans les aides versées. Il faut un meilleur ciblage et une plus grande sélectivité dans l’affectation des ressources vers les plus démunis.

            Il y a ceux qui, partant du constat de l’échec des politiques de réduction des inégalités menées depuis plus de 20 ans, quelles que soient les majorités politiques en place, pensent qu’il est nécessaire de conduire une politique sélective, discriminante et volontariste pour faire bouger les choses.

            Les principaux arguments de ceux qui sont contre la discrimination positive sont les suivants :

            - elle est en contradiction avec les principes républicains qui assurent l’égalité devant la loi de tous les citoyens français sans distinction d’origine, de race ou de religion,

            - elle est un accélérateur de communautarisme en poussant chaque communauté à s’organiser pour tenter d’obtenir un maximum d’avantages,

            - elle affaiblit considérablement la notion de mérite et d’effort en établissant des passe-droits,

            - elle pénalise les catégories de la population pourtant en détresse sociale mais qui ne peuvent prétendre à aucun passe-droit. A terme, seules deux catégories de la population pourront espérer les meilleurs postes : les classes dirigeantes et les populations bénéficiant de passe-droits. La masse des autres constitue les « victimes directes » de la discrimination positive,

            - elle induit une concurrence des « communautés » et un ressentiment parmi les populations soumises au droit commun. Les classes moyennes peuvent ainsi se dire victimes d’une discrimination à rebours, elles peuvent considérer qu’elles payent pour des injustices passées dont elles ne sont pas responsables,

            - Là où elle a été expérimentée, essentiellement aux Etats-Unis, la discrimination positive n’a pas produit les résultats escomptés, n’a pas freiné la progression des inégalités sociales et a eu pour conséquence une série de difficultés qui a entraîné sa remise en cause progressive.

            En France, nous sommes confrontés au problème de l’évaluation des politiques de discrimination positive. Puisqu’elles ont pour finalité de rétablir l’égalité, on admet qu’elles doivent y parvenir dans un délai raisonnable et que leur efficacité doit donc être incontestablement démontrée.

            L’observation sur le terrain permet en général de constater l’efficacité très relative de ces politiques sur les territoires défavorisés. Les mesures de discrimination positive territoriale comme par exemple la création des zones d’éducation prioritaire n’ont pu éviter la permanence de violences urbaines nourries par un sentiment d’injustice. Une étude datant de 2002[3] précise que le fait de résider en Zone Urbaines Sensibles a, toutes chances égales par ailleurs, un impact globalement défavorable en ce qu’il réduit la probabilité de trouver un emploi dans les 18 mois et augmente de 9.2 % la durée du chômage par rapport à la durée moyenne du chômage des autres chercheurs d’emplois ne résidant pas dans ces zones.

            D’autres observations[4] confirment au contraire les bienfaits de ces politiques préférentielles, notamment dans les Zones Franches Urbaines où le nombre de créations d’entreprises a fortement progressé.

            André Bellon, ancien président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale déclarait lors d’un colloque intitulé « La République face aux communautarismes » organisé au Sénat le 24 novembre 2006, la chose suivante :  « la discrimination dite positive est une des plaies caractéristiques de notre époque confuse. D’abord parce qu’elle fait partie de la nouvelle novlangue qui dit tout et son contraire. Une discrimination n’est pas positive ou négative, elle discrimine c’est tout. Décider qu’elle est positive, c’est légitimer la discrimination. C’est aussi tenter de masquer la crise sociale par des artifices » il ajoute plus loin « la discrimination positive n’est pas un progrès mais l’alibi cherchant à masquer les échecs, en particulier d’une politique syncrétique. Elle n’est finalement que la conséquence naturelle de l’oubli des principes républicains. Loin de vouloir les sauver, on crée des faux semblants…Bien pire, en émiettant la société, en divisant le combat social, de telles méthodes favorisent les intérêts dominants ». Il est clair que pour André Bellon, la discrimination positive n’est pas démocratique.

            Pour conclure sur cette partie consacrée à la réponse à la question « la discrimination positive est-elle démocratique ? » nous pourrions enfin citer l’avis d’un sociologue, Smain Laacher[5]. Ce chercheur revient sur le rôle de l’école, il considère que l’école n’assure plus à la fois le rôle de séparation par rapport à la communauté d’origine et d’agrégation à d’autres groupes sociaux. Il précise que « du fait de la ghettoïsation et de son propre manque de moyens, l’école arrive de plus en plus difficilement à remplir ces deux rôles ».Il considère que face à de tels enjeux, la discrimination positive « paraît à la fois pathétique et dérisoire. Elle abdique devant les impasses cumulées et accumulées ». Pour ce chercheur, ce qui est à l’ordre « c’est une refonte globale de la politique de l’école, de l’emploi et de la ville ». Comment ne pas être d’accord avec cet avis ?

            Après avoir analysé l’avis de tous ces  spécialistes, est ce que nous ne pourrions pas penser tout simplement que la discrimination positive apparaît comme « un emplâtre sur une jambe de bois ». Ne s’agirait-il pas d’un remède inadapté, d’une mesure globalement inefficace.

            La discrimination[6] positive agit comme une pratique de rattrapage social circonscrite à la sphère des publics défavorisés mais sans modifier en profondeur les logiques structurelles à la source des inégalités persistantes, de la précarité ou de l’exclusion. Nous assistons de plus en plus en France, aux mécanismes de reproduction des corps sociaux, aux mécanismes de reproduction des inégalités sociales. L’ascenseur social qui a si bien fonctionné en France après la deuxième guerre mondiale jusqu’à la fin des années 70 est, me semble-t-il, en panne. La discrimination positive présente alors un intérêt limité par rapport au traitement de tous ces mécanismes.

            Par ailleurs et enfin, est ce que certaines de ces mesures de discrimination positive ne se réduisent pas parfois à de la communication, à de la politique spectacle ?

            Alors bien sûr, si nous avions nous-mêmes bénéficié de mesures de discrimination positive, nous aurions probablement tendance à être un peu moins sévère avec cette notion. Jacques Julliard[7] dans un éditorial intitulé « Non à la République des quotas » s’indigne. Il écrit « et si on s’attaquait aux vraies causes de l’inégalité plutôt que de chercher à imposer des quotas de pauvres parmi les riches ». Sans nommer expressément la discrimination positive, Julliard ajoute « plutôt qu’une sélection de privilégiés s’effectuent aussi parmi les non privilégiés, je préfèrerais que l’on abolisse les privilèges ». Et Julliard poursuit en faisant allusion à l’un des paradoxes de notre société française. Il écrit « Comment expliquer la France, ce pays qui est férocement égalitaire mais qui est aussi nourri d’une permanente nostalgie pour les privilèges ? C’est la vieille schizophrénie d’un pays auteur de la révolution la plus radicale de l’histoire qui a conservé comme un traumatisme, une inextinguible nostalgie pour une société d’ordres et de castes ».

 

 

 

4)         Permettez-moi à présent de passer au quatrième volet de ma planche. Essayons de réfléchir, d’y voir plus clair dans les relations, les corrélations qui pourraient exister entre ce concept de discrimination positive et notre engagement maçonnique. Pour ma part, je suis Franc-maçon au grade de compagnon à la Grande Loge de France, comme vous tous mes FF :., j’effectue mon parcours initiatique dans deux espaces-temps bien distincts :  la loge et le temps de la tenue où nous nous réunissons et le monde profane où nous vivons tout le reste de notre temps.

            En loge, tous les Frères, quelles que soient leurs obédiences, travaillent en étant axés sur le symbolisme et sur la connaissance de soi. Nous constituons une alliance d’hommes libres et de bonnes mœurs, de toutes races de toutes nationalités et de toutes croyances. Cela signifie, qu’aucune discrimination, quelle qu’elle soit, existe dans la loge, nous sommes tous égaux et nous sommes libres. Certains outils comme le niveau nous invite à la recherche de la justice et l’équilibre, justice qui s’oppose aux injustices afférentes à ce concept de discrimination positive : injustice se rapportant à toutes celles et à tous ceux qui n’ont pas eu la chance de naître au bon endroit, qui n’ont pas eu la chance de bénéficier d’un environnement social, familial, culturel favorable au déroulement d’une scolarité normale par exemple, injustice encore plus aigue entre ceux qui au sein des milieux défavorisés bénéficient de ces mesures et ceux qui n’en bénéficient pas.

            Le travail en loge que nous faisons sur nous même, le rite qui nous invite à écouter ce que disent nos Frères, nous aide à convertir notre regard. Et ce nouveau regard vers lequel nous essayons de tendre nous invite, me semble-t-il, à davantage de modération, de mesure dans nos jugements, dans nos pensées, dans nos relations avec l’autre. Et lorsque l’on tend vers ces modes de pensées, ces attitudes, est ce que nous ne nous écartons pas d’un comportement discriminant qui différencie, qui sépare, qui classifie, qui particularise et qui isole ?

            En loge, cette notion de discrimination qui plus est positive, n’est pas quelque chose qui nous affleure, qui nous concerne. La discrimination nous est étrangère, ces notions de différentiations, de groupes, de quotas n’existent pas. Tout récemment à l’Orient de Gramat, une planche d’un Frère  de notre loge « Les Pierres Vives du Quercy » était consacrée au respect. Après avoir développé sur le thème du respect de sa propre personne, il poursuivait en indiquant que le respect envers soi constitue le fondement du respect envers autrui. Ce Frère terminait sa planche en citant Kant « le premier des devoirs envers les autres est le respect du droit des autres hommes. C’est un devoir pour nous que de respecter le droit des autres et de le considérer comme sacré ». Sacré au sens profane du terme. La notion de respect est me semble-t-il, totalement absente dans le concept de discrimination positive. Est ce que c’est respecter l’autre quand il s’agit d’établir « des quotas de pauvres parmi les riches » comme disait Julliard. Est-ce respecter ceux qui en bénéficient et ceux qui n’en bénéficient pas, que de faire en sorte que les inégalités sociales et que le mécanisme de reproduction de ces mêmes inégalités perdurent et soient acceptées par tout le monde ?

            Venons en maintenant pour terminer, à cette notion qui nous est chère et qui consiste à poursuivre au dehors l’œuvre commencée dans le Temple.

            La constitution et les règlements généraux de la Grande Loge de France notamment indiquent que les francs maçons doivent respecter les lois et l’autorité légitime du pays dans lequel ils vivent et se réunissent librement. Partant de là, qu’est que l’on peut faire dans le monde profane lorsque l’on est particulièrement dubitatif et sceptique d’une part sur le bien fondé des politiques de discrimination positive et d’autre part sur les résultats obtenus. Nous disposons d’un levier qui est le bulletin de vote. Si nous n’acceptons pas la discrimination, nous votons par conséquent pour les politiques qui essaient d’en générer le moins possible. 

            Alors bien sûr, il ne s’agit pas sur ce sujet, d’être un doux rêveur. Plusieurs orientations politiques ont été appliquées depuis la fin des trente glorieuses et je vous laisse le soin d’apprécier leurs résultats. Qu’à cela ne tienne, en notre âme et conscience, il faut choisir la politique qui, à nos yeux, a ou va réussir à limiter les inégalités sociales et territoriales contre la réduction desquelles, les mesures de discrimination positive sont prises.

            Il y a aussi, pour nous francs maçons, nos engagements dans notre vie quotidienne. Dans nos actes, nous devons nous efforcer de s’inspirer de l’équerre et du sentiment d’équité qu’elle génère, du niveau à partir duquel on doit viser au nivellement des inégalités et enfin à la perpendiculaire qui devrait nous inspirer pour contribuer à élever l’état moral et matériel des individus et de la société toute entière.

            Là encore, il ne s’agit pas d’être un doux rêveur et comme le dit l’expression « il y a loin de la coupe aux lèvres » mais ne faudrait-il pas en la matière « ne pas lâcher le morceau » comme l’on dit communément..

            Nous avons tous les jours dans notre vie associative, professionnelle, dans la conduite de nos actions politiques si nous sommes élus, la possibilité d’apporter notre pierre à l’édifice pour limiter le développement des inégalités. Modestement, sur des problèmes concrets, pratiques, nous pouvons agir. J’ai quelques exemples en tête, nous sommes responsables d’associations sportives, je crois que là, nous devons nous efforcer de veiller à la mixité sociale. Je ne rêve pas là encore, la mixité sociale dans des sports très populaires comme le football ou dans des sports très peu populaires comme le golf, ça sera très dur à atteindre. Si vous êtes un élu, vous pouvez adopter des mesures qui favorisent la mixité sociale. J’ai un petit exemple en tête, je pense aux conventions que passent des associations de type crèche parentale avec les communes dans lesquelles il est stipulé que « la crèche a pour mission de garantir l’égalité d’accès pour tous aux services proposés notamment en favorisant la mixité sociale des familles ». Là encore, il faut être tout à fait conscient qu’il est plus facile de faire ça dans des petites villes ou des petits bourgs de province que dans certaines cités dortoirs implantées en périphérie des grandes villes où la mixité sociale n’existe plus depuis belle lurette.

            Il est indiqué plus haut, que la discrimination positive n’existerait pas ou n’existerait plus si nous effectuions  « une refonte globale de la politique de l’école, de l’emploi et de la ville ». Vous comprenez tous, qu’il s’agit là d’un énorme chantier devant lequel personnellement je me sens parfois impuissant. Nos devoirs de francs-maçons nous invitent cependant à ne pas rester inactifs, à ne pas baisser les bras. Commencer par avoir soi-même un comportement non discriminant vis-à-vis des autres, vis-à-vis de celles et ceux que nous croisons tous les jours en dehors du temple, c’est peut-être un début. La résolution de tous les problèmes qui ont entraîné la mise en place des mesures de discrimination politique, c’est évidemment plus difficile.

            Permettez moi cependant de vous proposer deux premières pistes pour essayer de faire avancer les choses : soyons plus courageux d’une part et évitons d’autre part, la mansuétude, la complaisance à l’égard de certains membres de notre élite qu’elle soit politique, culturelle, économique, morale, sportive, artistique, scientifique qui font preuve d’une non-exemplarité indécente voire révoltante.

Tulle, le samedi 10 avril 6010



[1]              « Quatrevingt-treize » 1874 Victor Hugo

[2]              Fiche concours « Discrimination positive et égalité des chances – catégorie A » La documentation française

[3]              Ph Choffel, E. Delattre « effets locaux et urbains sur les parcours de chômage » Miméo Février 2002.

[4]              Rapport du député André – juillet 2002

[5]              Article « Un faux débat à la française » Dominique Vidal – La Monde Diplomatique – Mai 2007

[6]              Simon Whul « Discrimination positive et justice sociale » PUF 2007

[7]              « Non à la République des quotas » Jacques Julliard – Nouvel Observateur – 11-17 février 2010