« Il y a déjà
quelques temps que je me suis aperçu, que dès mes premières années, j’avais
reçu quantité de fausses opinions pour véritables, et ce que j’ai depuis fondé
sur des principes mal assurés, ne pouvait qu’ être fort douteux et incertains ;
de façon qu’il me fallait entreprendre sérieusement une fois en ma vie, de me
défaire de toutes les opinions que j’avais reçues jusqu’alors en ma créance
et commencer de nouveau, les fondements…. »
Ces propos tirés des
méditations métaphysiques de Descartes me semblent être une entrée en
matière acceptable pour commencer à illustrer
ce qui fait ce soir l’objet de cette planche : le doute.
Pour expliquer la découverte
de sa méthode, il évoque la stérilité des études de sa jeunesse, lettres, histoire,
mathématiques, théologie, morale. Son désir de distinguer « le vrai d’avec
le faux » l’a entraîné à acquérir l’expérience dans le grand livre du monde
puis lui a inspiré la résolution d’étudier en « lui même ».
Il précise aussi que
la première des quatre règles de sa méthode est de ne recevoir aucune chose
pour vraie qu’il ne la connaisse évidemment comme telle ; c’est à dire
d’éviter soigneusement la précipitation et la conclusion hâtive, et de ne comprendre
rien de plus en ses jugements que ce qui se présenterait à lui si clairement
et si distinctement à son esprit qu’il n’aurait aucune occasion de douter.
On peut considérer
qu’il y a des manières de douter ;
Une première consisterait
en un doute suspensif et provisoire, par suite duquel l’esprit ajourne son jugement.
Il prend le temps de chercher l’évidence que lui donne la certitude, mais quelle
certitude ? Descartes en avait fait la règle de sa méthode. C’est le doute
méthodique ou philosophique.
Une seconde, viserait
à faire du doute définitif, ce que certains appellent le doute réel et effectif,
un mode de pensée, une philosophie exprimant l’ultime étape de la raison :
le scepticisme.
Mais entre une conception
si dynamique soit-elle, débouchant néanmoins sur des certitudes et l’autre,
par principe condamnant à l’immobilisme, quel cheminement trouver permettant
à l’homme de progresser, de partager ?
Dans notre société
moderne, l’individualisme forcené l’emporte désormais sur une action sociale
plus collective et empreinte de nécessaire solidarité. Aujourd’hui, les systèmes
économiques dominants basés sur le profit et la rentabilité à tout crin ne laissent
que bien peu de place à l’écoute de l’autre. Le doute n’a pas sa place
dans un capitalisme triomphant parce que devenu certitude aboutie ne souffrant
d’aucune contestation. La crise économique grandit et ses justifications sont
plus souvent dogmatiques qu’explicatives. Les seules réponses apportées privilégient
la défense des structures et des systèmes au détriment de l’homme.
L’actualité récente
illustre ce propos quand la variable d’ajustement à un profit annuel de 14 MILLIARDS
consiste à sacrifier sur l’autel du profit, l’emploi de 550 PERSONNES.
Pourtant, Térence,
esclave affranchi devenu homme de lettres, poète comique latin, quelques cent
cinquante ans avant notre ère (185 avt JC- 159 avt JC) osait dire :
« Je suis homme
et rien de ce qui touche à l’humanité ne m’est étranger »
Une telle affirmation
a traversé les siècles et ne peut qu’interpeller les hommes de bonne volonté
mais plus sûrement le Franc-maçon que je suis devenu.
S’intéresser
à l’homme, à ses frères, c’est se débarrasser de ses certitudes
d’abord de façon symbolique en laissant sur le parvis du temple, ses métaux
vestiges d’une vie de profane. C’est commencer une réflexion imposée
dans le silence de l’apprenti.
C’est aussi
et nécessairement s’ouvrir au doute.
Celui ci devient le
prix de notre liberté retrouvée permettant d’oser sans provoquer, d’écouter
sans se fermer, de dire sans ressentir d ‘animosité.
Mais, L’exercice est
parfois bien difficile lorsque notre égo reprend le dessus et que les prémices
de l’agacement voire de l’intolérance l’emportent sur ce qui fondent nos valeurs :
la fraternité, le respect de l’autre, de ses différences.
Il est difficile en
effet de ne pas douter quand des frères portent parfois des jugements
ne souffrant guère la critique où se montrent peu enclins à accepter l’autre
et ses différences.
Le doute est encore
plus grand quand nourri à l’aune de l’histoire, on découvre que de grandes figures
de la Franc-maçonnerie peuvent à ce point se perdre et renier leurs engagements
de fraternité, de tolérance.
Pour exemple, Charles
Lindbergh, pionnier de la traversée de l’Atlantique au début du siècle dernier,
devenu Grand Maître de toutes les loges aux Etats Unis, pactisera avec le nazisme,
sera reçu et décoré par Goering. La perte d’un fils kidnappé et assassiné n’explique
pas tout.
Comment peut-on passer
de la défense de la fraternité, du respect de l’autre, du droit à la différence
à celles de l’intolérance, de la négation de l’autre s’incarnant dans l’antisémitisme
et l’eugénisme.
Vulnérable est l’homme
et vulnérable il demeurera.
Notre capacité à
douter devient dès lors une quête, celle d’un Graal laissant une grande
part à l’incertitude parce que source de remise en question permanente.
Le doute devient réflexion, la tolérance source de bonheur et
le respect de l’autre un hymne à l’altérité.
Le doute redonne toute sa place à l’humilité.
« Connais-toi
toi même et tu connaîtras l’Univers et les Dieux…» aurait dit Socrate !
Vérité jamais démentie au fil des siècles passés et sans doute à venir.
Devant tant d’incertitudes,
d’hésitations cependant porteuses d’un avenir plus radieux et baigné de lumière,
aperçu par delà la voute étoilée, nul doute que votre fraternité et votre écoute
jamais démenties à mon égard vous conduiront, une fois de plus à m’accorder……………
le bénéfice du doute !