« Les abus générés par la mondialisation ne contiennent-ils pas les germes d’une révolution planétaire ? »


La mondialisation désigne l’intégration croissante des économies nationales à l’économie mondiale. Elle s’opère sous l’impulsion des politiques de libération du commerce, de la multiplication des échanges commerciaux et financiers. Elle profite du développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication.


Ainsi, le volume des échanges internationaux augmente 2 fois plus rapidement que le volume de la production mondiale. Le volume quotidien des transactions sur le marché des changes est passé de 15 milliards de $ en 73 à 1200 milliards de $ en 95. Les grandes firmes internationales, présentes sur les principaux marchés financiers , ont multiplié les alliances et les fusions pour parvenir à une gestion unifiée de leurs activités industrielles, commerciales et financières. Elles ont réparti leur implantation sur le plan international afin de bénéficier des avantages comparatifs de production, ce que les partisans de la mondialisation font valoir comme étant un facteur de baisse du coût de la vie : en multipliant les débouchés pour les produits et les choix pour les consommateurs, le jeu de la concurrence fait baisser les prix qui sont d’autant plus bas que les produits concernés sont fabriqués dans des pays à très faible coût de main d’œuvre. En revanche, les opposants à la mondialisation soulignent que les écarts de revenus entre les plus riches et les plus pauvres n’ont jamais été si importants. En 1960, les 20% les plus riches de la population mondiale disposaient d’un revenu 30 fois plus élevé que les 20% les plus pauvres. Aujourd’hui les revenus des plus riches est 80 fois plus élevé.

 

La mondialisation s’opère par le vide politique, faisant apparaître chaque jour de nouveaux abus de pouvoir, face auxquels les dirigeants des états capitulent. Cette déréglementation porte atteinte au minimum d’égalité, d’équité et de loyauté nécessaires pour que les relations économiques soient acceptables et durables. Cette remise en question des Etats/Nations en tant que régulateur du développement est lourde de menaces. L’érosion progressive du politique, c’est à dire de la capacité de pouvoir agir collectivement sur le cours des choses est d’autant plus inquiétante que, après une première révolution économique globale, une seconde de l’information et de la communication, nous sommes en train de vivre une troisième révolution qui est celle de la génétique. En réalité, ces trois révolutions s’enchevêtrent et la complexité de leurs combinaisons fait que nous sommes le plus souvent dans l’incapacité de mesurer les injustices et les implications dont elles peuvent être dramatiquement porteuses.


De part les abus qu‘elle génère : pillage des richesses, destruction de l’environnement, déréglementation de l’économie, soumission du politique et exploitation de la main-d’œuvrebon marché, la mondialisation creuse encore davantage les écarts dans la répartition de la richesse et donne l’impression que tout se passe comme s’il fallait faire payer les pauvres parce qu’ils sont plus nombreux…
Partant de là, toute exploitation abusive d’une situation donnée ne peut que porter les germes d’une révolte. Mais ne perdons pas de vue qu’il est simple aujourd’hui de déplacer les outils de productions de lieux devenus moins intéressants ou dangereux, vers des sites réputés plus favorables.
Ceci étant, nous avons néanmoins envisagé une prospective de quatre scénarios possibles

1/ Le statu quo :
Le pouvoir politique étant de plus en plus au service de l’économie, se contentant de quelques mesures sociales pour « limiter la casse » , ne joue plus son rôle de contre pouvoir. L’humain est banni au profit d’une entité à croissance exponentielle : le marché.
Nous vivrons moins un individualisme de la liberté qu’un individualisme de la marchandise qui fragmente le lien social et provoque le ressentiment de ceux qui en sont exclus. Le libéralisme planétaire des échanges a pour prix l‘appauvrissement d’une immense part de la population mondiale mais aussi la paupérisation croissante d’une minorité de la population la plus favorisée, où les privilégiés se mettent en dissidence avec la vie communautaire, se barricadent dans l’entre soi pour se protéger d’une violence, d’une délinquance dont ils sont les principaux responsables.
En prenant les hommes pour de simples vecteurs de l’économie (des consommateurs et rien d’autre) et en divisant l’humanité en nantis et misérables, cet apartheid social comporte en effet tous les germes d’une bombe à retardement diffusant partout un ressentiment de frustration et d’inégalité qui ne peut qu’inciter les laissés pour compte à la révolte. Par ailleurs, si l’on entend par révolution un changement radical de l’organisation sociale et si rien ne vient troubler l’ordre des choses néo-libérales, alors le scénario constituera bien une révolution, certes larvaire mais bien réelle .

2/ Une révolte sanglante généralisée :
Cette hypothèse supposerait qu’un mouvement violent puisse se propager à l’humanité tout entière. Cela paraît d’autant moins probable qu’il serait d’une part très difficile de mondialiser une action violente, et que d’autre part il existe des capacités répressives impressionnantes pour contrer de tels événements.

3/ Un crack boursier ou financier :
Un événement imprévisible tel qu’un effondrement boursier ou la perte vertigineuse de parité du dollar provoquerait une telle panique qu’il entraînerait dans sa chute la désintégration du commerce mondial, mettant le marché en situation d’insolvabilité, de faillite.
La Chine est en train de devenir l’usine du monde, et les Etats-Unis, le plus grand pays prédateur.
L’accroissement du déficit commercial américain combiné au déficit budgétaire augmente sa dette que la Chine finance pour partie en achetant des bons du trésor grâce à un taux d’épargne ahurissant (40%). Avec une croissance économique proche de deux chiffres la Chine consolide sa monnaie et peut devenir un jour une puissance financière redoutable avec des réserves colossales, ce qui rappelle un peu la situation du Japon avant le premier choc pétrolier. Il suffirait alors d’une réévaluation du yuan – déjà réputé sous évalué par rapport au dollar – pour déclencher une crise monétaire. Ce pourrait être aussi d’une certaine façon pour la Chine une manière de faire payer son développement à l’occident en inversant cette fois les rôles… Remarquons au passage que la situation de déflation si chère au tenant d’une économie qui recherche la seule baisse des prix est obtenue grâce au sacrifice des pays producteurs à faible coût de main-d’œuvre et qu’elle est un des meilleur tour de force réussi par la mondialisation du marché.

4/ Une évolution pour un développement durable et humaniste :
La pensée altermondialiste, reste encore marginale. Il suffirait toutefois d’un retournement significatif de l’opinion et notamment de celle des consommateurs américain pour que les choses puissent changer. Comment un tel changement peut-il s’opérer ?
Peut-être, à partir d’un événement particulier. Un facteur déclenchant, tel qu’une catastrophe écologique pourrait secouer les consciences et entraîner une pression politique qui rétablirait un nouvel ordre économique et social. Peut-être, également grâce à une reprise en main par la société civile de l’information et de la communication aujourd’hui accaparé par les tenants du libéralisme planétaire. Ceci permettrait pour le moins aux Etats de réguler de nouveau les échanges internationaux. En définitive, nous devons nous attacher chaque fois que cela est possible, à préserver la gestion du partage des richesses, par le service public seul garant d’une juste répartition.

TULLE, le14 Février 2004