En introduction, il convient de signaler combien l’eau est un élément hautement paradoxal, et, ce, à plusieurs titres.
Le premier de ces paradoxes réside dans le fait que
l’eau est à la fois un composant majeur de la planète
et qu’il présente un caractère de rareté évident.
Cette rareté pouvant même aller jusqu'à l’absence
totale. Actuellement 450 millions de personnes manquent d’eau, il y
en aurait même 2,5 milliards en 2025.
Pourtant la planète compte plus de 1300 millions de KM3 d’eau
mais 97 % sont de l’eau salée. Le stock d’eau douce est
estimée à 35 millions de KM3 mais il est pour l’essentiel
présent dans les glaces et neiges de l’Antarctique (69,6%) et
dans les eaux souterraines (30,11%). Les eaux libres constituent donc une
partie infime de ces eaux douces et les flux d’eau douce régulièrement
renouvelable sont estimés à 13500 KM3 dont 4000 KM3 facilement
mobilisables.
Face à ces ressources le volume de prélèvement actuel
est de 3500 KM3. Il convient de bien retenir ce rapport : d’un coté
4000 KM3 facilement mobilisable, et, de l’autre, 3500 KM3 prélevés
régulièrement soit donc un taux supérieur à 85%.
On sait que dans certain pays ce taux est proche de 100%. On atteint alors
une situation non durable. C’est le cas notamment au Proche Orient et
cela interfère de façon notable dans le contexte politique de
cette partie du Monde.
Apparaît ainsi un deuxième paradoxe : celui
de l’abondance apparente et de l’inégalité de la
répartition d’une part, de la consommation d’autre part.
L’inégalité de la répartition est bien connue entre
les zones très humides et celles considérées comme arides
ou hyperarides. On remarque d’ailleurs que le sous-développement
correspond souvent aux situations hydriques extrêmes - trop ou très
peu.
L’inégalité de consommation est également connue.
Quelques chiffres pour en montrer l’importance :
Consommation par habitant et par jour : |
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USA : 600 litres |
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EUROPE : 250 litres |
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AFRIQUE : 30 litres |
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CISJORDANIE ISRAELIENNE : 250 litres |
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CISJORDANIE PALESTINIENNE : 70 litres |
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EL PASO (TEXAS) : 750 litres |
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sur l’autre rive du Rio Grande, Mexique : 350 litres |
Cette inégalité de consommation ne cesse en outre de grandir.
Depuis le début du siècle les besoins en eau ont été
multipliés par 7 alors que la population a seulement doublé.
Les pays riches voient se développer une offre de confort (piscines,
jardins, golfs....) alors que les pays pauvres peinent à satisfaire
les besoins élémentaires de leur population. On verra plus loin
que d’autres considérations peuvent aggraver ces disparités.
Troisième paradoxe : l’eau
apporte tout à la fois la vie et la mort. Ce paradoxe est connu et
il est souvent spectaculaire. Il est en tout cas permanent et présent
dans la conscience humaine comme en témoigne les mythes des déluges
et engloutissements purificateurs.
La vie, on le sait est née dans l’eau et avant même la
présence d’oxygène puisque ce sont les êtres vivants
qui ont produit cet oxygène. L’eau constitue 80 à 90 %
du poids des végétaux frais et 70 % environ dans la règne
animal. La déshydratation entraîne la mort plus vite que la dénutrition.
Et pourtant cette eau vitale tue aussi l’homme qui s’y noie, détruit
culture et infrastructures par inondation, raz de marée.... Plus discrètement,
elle tue aussi par pollution résultant, contradiction suprême,
de son utilisation par l’homme lui même.
C’est qu’effectivement l’eau a cette propriété
à la fois positive et négative, d’être un important
produit solvant pouvant transporter soit les sels minéraux nécessaires
à la vie, soit des toxines porteuses de mort. De même, étant
milieu de vie, elle peut l’être pour des êtres vivants parasites
ou toxiques de l’homme.
On pourrait encore trouver d’autres paradoxes qui font l’originalité
de cet élément en remarquant toutefois qu’un autre de
ces éléments fondamentaux, l’air, possède des caractéristiques
de même nature.
L’eau, massive et rare, vitale
et mortelle, a toujours été un enjeu de société.
Elle le demeure et, sans doute même, est-il de grandeur croissante.
Pourquoi ?
Essentiellement parce que, comme je le disais tout à l’heure,
une grande partie des eaux facilement mobilisables est maintenant exploitée
alors qu’un milliard d’habitants ne dispose pas encore d’un
accès aisé à un système d’alimentation en
eau potable. L’augmentation de la ressource nécessite donc des
travaux, des ouvrages, des installations de plus en plus chers.
La mise à disposition de l’eau pour l’homme génère des coûts directs et indirects croissants. Il faut soit stocker, soit capter en profondeur, soit pomper et de plus en plus purifier. Même l’usage non humain, l’irrigation ou l’industrie réclament des quantités croissantes. On comprend bien alors que cette exigence technique pourra augmenter les inégalités entre les pays riches et pays pauvres. L’eau va donc devenir de plus en plus chère même si l’on fait abstraction de la part de profit que cherchent à réaliser les grandes sociétés distributrices à l’échelon mondial.
Si le prélèvement provoque cette croissance du coût, le rejet est également une source de renchérissement peut-être plus importante encore. Dans nos pays tempérés, à structure hydrologique équilibrée, le coût du traitement après usage dépasse déjà le coût de production. Il faut donc s’attendre, là encore, à une cause de renchérissement de l’eau. On estime, qu’à l’heure actuelle, l’assainissement des eaux usées ne concerne que 50 % de la population urbanisée. La moitié de la population des pays en voie de développement souffre de maladies endémiques liées à l’eau.
Dès le début du 21ième siècle, 50% de la population
vivra dans les villes. Une part croissante, 10% environ, se concentrera dans
d’immenses mégalopoles de plus de 10 millions d’habitants.
C’est pour ces mégalopoles que se pose avec le plus d’acuité
les questions d’eau potable et d’assainissement, problèmes
encore exacerbés dans les quartiers défavorisés.
L’insuffisance qualitative et quantitative des services collectifs d’alimentation
et d’épuration conduit au développement de services alternatifs
(porteurs d’eau) ou de solutions individuelles (ébullition) coûteuses.
La banque mondiale estime que ces pratiques génèrent pour les
populations défavorisées des coûts de même ordre
de grandeur que des services simplifiés modernes. Le coût de
faire bouillir l’eau représente 1% du PIB de Djakarta, ville
de 5 millions d’habitants. Il faut ici souligner l’incompréhension
que suscite, dans les pays défavorisés , l’accentuation
de la sévérité des normes que veulent imposer les pays
riches. Nos débats sur la valeur du PH de l’eau consommée
apparaissent dans ces pays comme totalement surréaliste et incompréhensible.
Il va donc falloir consacrer des sommes croissantes au cycle humain de l’eau mais ce serait sans doute une erreur que de tenter de résoudre le problème par une augmentation continue de la production... Il faut aussi songer aux économies.
Si l’on veut reprendre le slogan souvent utilisé pour l’énergie, on peut dire que les économies d’eau constituent le meilleur gisement de cet élément. Soyons clairs, on ne peut parler d’économies qu’à partir d’un certain niveau de satisfactions des besoins. Malgré tout, il convient dans une approche nouvelle, de faire cohabiter amélioration de la distribution et recherche des techniques économes. Et pourquoi ne pas concevoir que les pays en voie de développement fasse d’emblée l’économie de la phase de gaspillage que nous connaissons dans nos pays développés. Il conviendrait de mettre en place des réseaux à la fois modernes et entrant dans la conception de ce qu’on appelle le développement durable.
Les travaux de la Commission du Développement
Durable de la Méditerranée ont montré qu’une action
volontaire de lutte contre les gaspillages permettait de dégager des
volumes d’eaux susceptibles de faire face à l’essentiel
des nouveaux besoins à l’horizon de 25 ans.
Les économies possibles sont encore plus massives lorsqu’on examine
les usages de l’eau pour les besoins de production électrique
et pour l’agriculture, ce qui représente, et de loin, la majeure
partie de la consommation puisqu’il s’agit de 90% des prélèvements
opérés.
De nombreux ouvrages sont en chantier ou récemment construits visant à la production d’électricité. On dénombre actuellement 170 grands systèmes de régulation en construction. Certains sont parfois gigantesques comme le barrage des trois gorges en Chine sur le Yangsi Jiang, l’aménagement du bassin de la Narmada au nord de l’Inde, l’aménagement d’Anatolie en Turquie. Au Paraguay, l’utilisation des chute d’Igassu représente un potentiel énergétique alternatif à la création de plusieurs centrales thermiques ou nucléaires. Il faut signaler ici que la réalisation de ces ouvrages gigantesques rencontre de plus en plus l’opposition des populations locales. Evidemment, l’opposition est surtout organisée dans les pays riches où les meilleurs sites sont déjà occupés.
L’irrigation agricole représente 70% de ce prélèvement. La progression est très importante comme en témoignent ces quelques chiffres :
1960 : |
140 millions d’hectares |
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1995 : |
250 millions d’hectares |
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2020 : |
300 millions d’hectares |
Cet usage a une efficience très faible et conduit à des gaspillages importants. L’introduction de techniques remplaçants les systèmes traditionnels par submersion pourrait entraîner des gains de l’ordre de 20% (aspersion, goutte à goutte). De même, l’introduction de nouvelles façons culturales dans les pays à handicap de sécheresse constitue une piste d’action.
En résumé, il faut être convaincu que le problème de l’eau doit être abordé d’une façon globale, complexe. Il ne peut se réduire à une mobilisation croissante de la ressource. Il doit intégrer la recherche systématique d’économies, se préoccuper des questions d’environnement et, bien sûr, placer cet ensemble dans son contexte social et humain. Une telle approche, si elle nous paraît évidente est loin d’être perçue par les populations en proie au manque d’eau. Comme on le sait, les préoccupations environnementales sont un souci de riches. L’action à entreprendre est, de ce fait, elle-même également globale : financière, sociale, culturelle.
Une telle problématique pourrait
constituer le contenu d’une autre planche. Je me bornerai à énoncer
quelques-unes des questions principales.
Tout d’abord, on peut comprendre que les solutions très intégrées
vont nécessiter des capitaux de plus en plus importants. On estime
qu’à l’heure actuelle on consacre 1% du PIB mondial au
secteur de l’eau (production et épuration), soit 300 milliards
de $ par an. C’est déjà significatif mais il faudra aller
plus loin.
Vient alors une autre question : Quelle sera l’origine de ces fonds nécessaires ? Quel sera le mode de gestion sachant que dans ce domaine l’amortissement des installations ne peut se concevoir que sur une longue période ? Va-t-on faire de l’eau un produit soumis aux lois du marché et donc confier les investissements aux groupes financiers existants ou à venir ? On voit bien que ceux-ci conduisent actuellement des opérations de rachat et de fusion à l’échelle internationale. Ou bien va-t-on, à l’opposé, rester dans une conception de service public ?
Les solutions les plus durables sont donc celles qui sont le plus intégrées mais qui sont aussi internationalisées. Il faut en effet installer une gestion par bassin hydrographique, or ces bassins ignorent, en bien des régions, les frontières des états. Tous les pays n’ont pas des rivières du type Loire ou Seine dont le cours est totalement contenu dans un état.
Il faut s’entendre pour gérer
le Rhin, les fleuves africains ou ceux du Moyen et Proche Orient. Dans cette
dernière région on connaît le contenu politique de l’utilisation
de l’eau du Jourdain, de l’Euphrate ou du Nil. L’eau peut
devenir une arme ou tout au moins un moyen de pression qu’Israël
ou la Turquie savent bien utiliser.
Une forte action de formation doit être engagée de façon
à ce que l’on puisse développer des équipes locales
d’analyse, de réalisation et de gestion mais aussi des équipes
destinées à introduire une autre culture de l’eau.
En conclusion, il existe peut-être
une amorce d’action à l’échelon international. Il
y a plus d’un an s’est tenue à Paris la conférence
internationale sur l’eau et le développement durable. A côté
d’organisations institutionnelles, d’O.N.G., on comptait 85 états
dont 60 représentés par un ministre. Un nouveau rendez-vous
pour l’an prochain aux Pays Bas. Bien sûr il faut se garder de
tout angélisme en ce domaine mais il me semble qu’il y a là
un champ d’action humanitaire énorme qui ne peut laisser indifférents
les Francs - Maçons que nous sommes.