LA BIBLE, LIVRE POLITIQUE OU LIVRE RELIGIEUX ?
Longtemps j'ai hésité à rédiger et proposer cette planche. Cette réserve et cette hésitation s'appuyaient sur trois réflexions.
1- la première était une interrogation sur ma capacité à traiter un sujet aussi complexe en quelques minutes et je craignais de courir le risque de dénaturer la question en compressant et en schématisant les données constitutives.
2- Je me suis demandé ensuite si un tel sujet relevait d'un débat dans une loge du GODF malgré les références bibliques contenues dans nos rituels.
3- Enfin ce contenu renvoie inévitablement à la question Israélo- palestinienne et le risque peut ex ister d'une accusation d'antisémitisme.
A la première question je me suis dit que la perfection ne sera sûrement pas au rendez-vous mais le but poursuivi dans une planche est bien de traduire le moment d'une réflexion et de le soumettre à la critique des Frères présents pour ainsi construire une approche améliorée.
A la deuxième question il me semble que l'on peut accepter que si la Bible est un ouvrage religieux, fondatrice de deux voire trois religions, elle est aussi à la base d'une civilisation à laquelle nous appartenons avec ses heures claires et ses heures sombres. La Bible n'est pas la propriété des clergés qui s'en réclament, des gardiens des églises, des synagogues ou des temples. En conséquence mon travail ne portera pas sur la Bible en tant que livre de foi. Elle n'est donc pas étrangère à nos préoccupations ordinaires.
A la troisième question il convient de rappeler que l'antisémitisme, très condamnable, est à l'origine le fruit de la Bible elle-même, dans sa partie chrétienne, soit le Nouveau Testament et plus particulièrement à travers les Evangiles et la relation de la mort de Jésus condamné par ses compatriotes juifs à un supplice romain. Les Eglises chrétiennes ont suffisamment été anti judaïques. De l'autre côté le sionisme moderne a largement instrumentalisé la Bible pour justifier le "retour " en Palestine. Depuis le 19ème siècle l'étude de la Bible est très orientée vers une présentation qui cherche à démontrer que la Palestine appartient aux Juifs qui doivent alors retrouver cette terre et y créer un état capable d'accueillir la vaste diaspora et elle seule. Bien entendu l'effroyable Shoah est venue légitimer cette revendication, même si elle se fait aux dépens, combien lourds, des habitants actuels de cette terre qui ne portent aucune responsabilité dans ce génocide hélas bien européen.
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Pendant des siècles la recherche historique en matière biblique a toute été orientée vers la recherche des preuves de la véracité historique de la Bible. Bien sûr, les passages de la Révélation ne pouvaient être prouvés ; comment attester de "l'Alliance", ( qui, en grec, signifie testament), de la présentation des tables de la Loi à Moïse sur le Mont Sinaï, ou de certains épisodes bien connus comme les 7 plaies d'Egypte ou la traversée de la mer Rouge au moment de l'Exode. Mais tout le reste, l'Exode, la conquête de Canaan (c'est à dire la Palestine actuelle) par Josué, les royaumes unifiés de David et de Salomon, le Temple même de Salomon constituaient une vérité indiscutable et c'est sous cette croyance que l'archéologie travaillait. En somme on inversait la pratique scientifique : le résultat était préalable à recherche. Le postulat primait sur la preuve et donc la preuve ne pouvait qu'être trouvée. De fait quand on trouvait quelque chose l'interprétation devait corroborer les dires de la Bible.
Quelques rappels généraux
Quand je parle de la Bible dans cette planche je fais référence au seul Ancien Testament, c'est à dire à la Bible Hébraïque. Vous savez que cet ouvrage se compose d'un ensemble de "livres" que l'on pourrait assimiler à des chapitres et qui relatent l'histoire du peuple Hébreu sous l'autorité spirituelle d'un dieu unique appelé YAHVE (et parfois Elohim : du dieu EL que l'on retrouve dans Babylone, la porte de El)
Les premiers livres soient, Genèse, Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome constituent ce que les chrétiens appellent le Pentateuque et les juifs la Torah. Cet ensemble se termine par la mort de Moïse à qui la tradition attribue la rédaction de cette partie. Il est alors amusant de constater que Moïse raconte avec force détails sa propre mort dans le dernier livre, le Deutéronome. Le paragraphe final est le passage fondateur du concept de terre promise par YAHVE bien entendu :
"Alors quittant les steppes de Moab, Moïse escalada le mont Nébo, sommet du Pisga, face à Jéricho. Là, YAHVE offrit à sa vue l'ensemble du pays: Galaad jusqu'à Dan, tout Nephtali, le pays d'Ephraïm et de Manassé; tout le pays de Juda jusqu'à la mer occidentale, le Néguev et la plaine jusqu'à Tsoar.
YAHVE lui dit alors : " voici le pays à propos duquel j'ai juré à Abraham, Isaac et Jacob, je le donnerai à ta postérité. Je te l'ai fait voir de tes yeux mais tu n'y pénètreras pas"
Il reviendra à Josué, successeur de Moïse par imposition des mains de faire la conquête de cette terre promise.
Le Pentateuque est suivi d'une longue série de livres dont le premier est celui de Josué, livres regroupés sous le titre de "Livres Prophétiques" (Neviim en hébreu) et portant le nom des Prophètes. Viennent ensuite les "Autres Ecrits" ou Ketouvim dans lesquels se trouve le Cantique des Cantiques dont le ton se distingue singulièrement des autres ouvrages. Traditionnellement attribué à Salomon, il a la forme d'un long poème à la gloire de l'amour et parfois subtilement érotique. Je ne résiste pas au plaisir de vous en lire un bref passage :
4.1
Que tu es belle, mon amie, que tu es belle! Tes yeux sont des colombes, Derrière ton voile. Tes cheveux sont comme un troupeau de chèvres, Suspendues aux flancs de la montagne de Galaad.
4.2
Tes dents sont comme un troupeau de brebis tondues, Qui remontent de l'abreuvoir; Toutes portent des jumeaux, Aucune d'elles n'est stérile.4.3
4.3
Tes lèvres sont comme un fil cramoisi, Et ta bouche est charmante; Ta joue est comme une moitié de grenade, Derrière ton voile.
4.4
Ton cou est comme la tour de David, Bâtie pour être un arsenal; Mille boucliers y sont suspendus, Tous les boucliers des héros.
4.5
Tes deux seins sont comme deux faons, Comme les jumeaux d'une gazelle, Qui paissent au milieu des lis.
4.6
Avant que le jour se rafraîchisse, Et que les ombres fuient, J'irai à la montagne de la myrrhe Et à la colline de l'encens.
4.7
Tu es toute belle, mon amie, Et il n'y a point en toi de défaut.
La Bible chrétienne ajoute un groupe d'autres livres appelés par les catholiques "livres deutérocanoniques" c'est à dire relevant d'une deuxième canonisation et appelés par les protestants "livres apocryphes" c'est à dire non attestés, peut-être faux.
Un rappel maintenant de l'histoire traditionnelle mais comme nous le verrons purement imaginaire. Après cette conquête se développe une période de guerres et d'installations puis apparaît la période du Royaume Unifié raconté dans le livre de Samuel. C'est le temps du roi Saül puis de ses deux successeurs bien connus : David et son fils Salomon. Cette période est une sorte d'âge d'or pour les Juifs religieux avec la construction du premier temple à Jérusalem. Ce grand et prestigieux royaume se divise en deux à la mort de Salomon : au nord (en Galilée) le royaume d'Israël le plus vaste et le mieux pourvu avec pour capitale Samarie, au sud celui de Juda (en Judée) dont la capitale est Jérusalem.
Le royaume d'Israël est conquis par les Assyriens en -730 et nombre de ses habitants déportés en Mésopotamie. Le deuxième subsiste en devenant vassal de l'Assyrie puis de l'Egypte. Il sera détruit par les Chaldéens de Nabuchodonosor qui prennent Jérusalem en -586 et déportent l'élite Hébraïque à Babylone. C'est la célèbre période de l'Exil
J'arrête ici l'évocation, suffisante pour le reste de l'exposé en vous disant toutefois que cette histoire est précisément celle là que la recherche moderne a repoussée.
La recherche moderne s'est précisément attachée à démontrer le caractère mythique de cette histoire à la lumière des découvertes de l'archéologie moderne israélienne avec un de ses plus éminents représentants, Isaac Finkelstein directeur de l'Institut d'archéologie de l'Université de Tel-Aviv. Associé avec Neil Ascher Silberman directeur au centre Ename de Belgique (pour la présentation de l'archéologie et de l'héritage public de Belgique) il a publié un livre intitulé "la Bible dévoilée". Ma planche se fonde essentiellement sur cet ouvrage. Je signale aussi aux Frères intéressés l'existence d'un DVD issu d'une émission de la chaîne Arte, portant le même titre et s'appuyant sur les recherches de Finkelstein.
Quelle est donc l'affirmation essentielle de Finkelstein ? Selon lui les données archéologiques modernes permettent d'affirmer que la rédaction de la Bible ne s'est faite que sous le règne d'un roi de Juda du nom de Josias soit au 7ème siècle av. JC c'est à dire à une période relativement tardive par rapport à ce que l'on pensait jusqu'alors. Sa rédaction visait à installer un royaume, une dynastie selon la formule utilisée ultérieurement et dans d'autres circonstances : une terre, un roi, un dieu. Le récit biblique que nous connaissons, et qui s'écrit alors, fait de Josias le fondateur de cette triple alliance. Il se construit ainsi une sorte de saga destinée à légitimer ce pouvoir politique en créant l'idée d'un peuple élu, guidé et soutenu par un dieu aussi bon qu'implacable, installé sur une terre conquise par les armes toujours soutenu par YAHVE. Ce peuple vient de loin, de ces terres prestigieuses mésopotamiennes sous la conduite d'Abraham, installé une première fois à Canaan, émigrant en Egypte pour fuir la famine puis quittant ce pays pour échapper à la persécution du Pharaon, errant dans le désert de longues années, se concentrant en Transjordanie pour conquérir la Cisjordanie. J'emploie à dessein ces appellations modernes qui permettent de comprendre des situations actuelles.
Ce récit ne repose sur aucun document, sur aucune réalité archéologique. Il est, et ce n'est pas péjoratif, une construction à visée politique s'appuyant avec beaucoup de force sur la religion qui trouve là application de son étymologie, relier. C'est "le brillant produit de l'imagination humaine" dit Finkelstein que je cite plus longuement :
"Vers la fin du 7ème siècle av JC, au cours de quelques décennies qui furent témoins à la fois d'un ferment spirituel sans précédent et d'une intense agitation politique, une coalition des plus hétéroclite rassemble des fonctionnaires de la cour judéenne, des scribes, des prêtres, des fermiers et des prophètes du royaume de Juda. Ensemble ils initient un nouveau mouvement, dont l'élan puisait son inspiration dans une écriture sacrée dont le génie spirituel et littéraire demeure sans égal"
Cette réécriture de la Bible n'est pas une réécriture ex-nihilo, elle emprunte à des récits, des croyances, des légendes antérieures (ex : le déluge). C'est surtout la visée dynastique et donc à cette époque politique qui est réellement novatrice. En termes modernes on dirait que c'est un plan de communication absolument génial qui devrait faire honte à nos communicants actuels ! C'est pourrait-on dire l'instrumentalisation de YAHVE, du monothéisme comme élément fondateur d'une organisation sociale humaine. Il fallait que ces politologues de l'époque éclairent, interprètent, fassent émerger un ensemble lui même cohérent et produisant de la cohérence et du lien social.
C'est à cette époque que l'on annonce la "découverte" dans le temple d'un livre inconnu, important, bref faisant l'objet d'une forte promotion dans les librairies de l'époque !. En fait il s'agissait sans doute d'un ouvrage rédigé dans ce contexte de renouveau. On pense qu'il s'agit du livre introduit dans le Pentateuque sous le nom de Deutéronome, ce qui veut dire deuxième loi. C'est plus exactement la répétition des principes, des règles, des obligations prescrites par YAHVE dans les Tables de la Loi. Le livre institue les Hébreux comme peuple Elu. Le Deutéronome est un document de liaison entre la parole fondatrice de Moïse, messager de dieu et la période vécue, l'aujourd'hui dans le royaume de Juda au 7ème siècle. Le livre insiste beaucoup sur l'obligation de n'avoir qu'un seul temple consacré à YAHVE et sur la nécessité de détruire tous les autres, impurs par définition. Ce document fait figure d'une reprise en main par l'autorité politique grâce à un mélange d'énoncés et de prescriptions religieuses et d'obligations législatives, d'une population hétéroclite, aux croyances diverses. Le Deutéronome est à la fois un catéchisme et un code civil !
On comprend déjà combien; aujourd'hui, cette théorie bouleverse la perception populaire de la Bible, sa fonction religieuse et pourtant sociale. Elle n'affecte pas que le monde des croyants mais concerne aussi les images ancrées dans les esprits, le corpus constituant l'imaginaire humain et nos civilisations judéo-chrétiennes voire musulmanes dans la mesure où l'islam est aussi une religion abrahamique.
Finkelstein va plus loin dans ses conclusions puisqu'il est amené à nier la réalité historique d'un peuple spécifique fondé dans l'histoire mésopotamienne, errant des décennies dans le désert à la recherche de la terre promise. On comprend, à rebours, cette origine magnifiée puisse avoir été à l'époque de Josias source de cohérence, d'unité et donc de force pour un Etat en formation. C'était le ciment idéologique que pouvait souhaiter Josias ce petit roi d'un petit état menacé et dominé par les puissances égyptiennes, assyriennes et babyloniennes. Ce petit état, faiblement peuplé a malgré tout connu une forte croissance depuis le règne d'Ezéchias (grand père de Josias) en raison de l'arrivée des réfugiés du royaume d'Israël fuyant le conquérant assyrien et son lot de déportation habituel. Le rêve de Josias c'est de reconstruire un grand royaume israélite par la reconquête du nord. La Bible est alors une arme idéologique nécessaire à la réalisation de cette ambition dynastique, bien terrestre et bien humaine. Il faut inventer ce royaume antique mais unifié de David et de Salomon, inventer la construction du temple unique signe du pouvoir d'essence divine.( C'est dans le récit du livre des Rois que l'on trouve l'intervention d'Hiram, roi de Tyr et de son homonyme Hiram le bronzier plus ou moins architecte qui coule les colonnes ornant l'entrée du temple et comme dit la Bible : "Il dresse les colonnes dans le vestibule de la grande salle : celle de droite il l'appelle Yaquin et celle de gauche Boaz".
Mais on est jamais si bien servi que par soi même et la Bible encense Josias, roi parfait, respectueux de YAHVE et restaurateur de la vraie religion, la religion officielle en quelque sorte ! A contrario elle stigmatise le royaume du nord (celui d'Israël) qui adore des dieux divers, dont le fameux Baal, et ne respecte aucun des préceptes divins délivrés à Moïse. Et cette impiété notoire irrite YAHVE qui le laisse détruire par les armées assyriennes.
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Mais il convient maintenant d'exposer quelques une des preuves de cette thèse et leurs fondements scientifiques. Je ne ferai référence qu'à quelques données pour ne pas allonger inconsidérément cette planche. Je ferai référence à l'Exode, à la conquête de Canaan par Josué, à la réalité du royaume unifié et de Jérusalem. Ce sont des épisodes majeurs dans l'histoire à la mode biblique
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L'EXODE.
On en connait le contenu. Son existence traduit un besoin là encore de nature politique car elle apparaît comme un temps de libération et un temps d'unification. La libération grâce au dieu retrouvé et l'unification grâce à Moïse son exécutant renouvelé à travers le roi Josias. Mais il est bien difficile de croire à l'historicité de l'Exode.
Voilà en effet un peuple qui serait resté 430 ans en Egypte sans qu'aucun texte ne les mentionne. Surprenant quand on sait la forte pratique égyptienne et les murs couverts de hiéroglyphes. Il faut être précis l'histoire égyptienne rapporte une invasion par un peuple d'origine sémitique, les Hyksos repoussée par les Egyptiens jusqu'aux frontières de la Syrie. Mais cet épisode ne correspond pas à la datation biblique de l'exode. Une stèle dite de Merneptah (fils de Ramsès II) mentionne la destruction d'un peuple ou d'une tribu appelé Israël mais habitants déjà Canaan. L'Egypte ne recèle aucune découverte qu'il soit possible d'associer, directement ou indirectement, avec la notion d'un groupement ethnique particulier. Pour en revenir à la fuite proprement dite, il est indiqué que les Hébreux étaient au nombre de 600 000 hommes en armes sans compter les femmes et les enfants soit 2 millions de personnes sur les 3,5 millions d'habitants que comptait l'Egypte de l'époque. On imagine les effets économiques d'une telle ponction sans qu'aucune mention n'ait pu être retrouvée.
Ces fugitifs ne sont repérés que bien tardivement par les armées du pharaon qui ne peut les empêcher de traverser la mer Rouge de la façon que l'on sait. Leur errance dans le désert ne laisse aucune trace comme dans l'oasis de Cades-Barnéa scrupuleusement fouillée.
Quelques souvenirs ou traditions ont pu être introduits dans le récit de l'Exode pour faire vrai en quelque sorte. L'émigration vers l'Egypte des peuples riverains était sans doute une réalité car il s'agissait d'un Etat riche et puissant, donc attractif.
LA CONQUETE
Cet épisode, que la Bible situe au 13ème siècle av. JC, est très important dans la visée nationaliste juive puisqu'elle fonde une sorte de droit du sol. C'est donc le livre de Josué qui rend compte de cette conquête. C'est dans ce livre que se situe la fameuse prise de Jéricho avec la chute des murs grâce aux trompettes célèbres. C'est une sorte de Blitzkrieg avec un objectif de destruction totale des habitants, des villes et des temples divers car tout est "voué d'interdit" et tout doit donc être rendu à dieu. Il faut une place nette pour installer le dieu unique et une religion unificatrice. Comme pour la mer Rouge le peuple hébreux traverse le Jourdain à pied sec et commence alors un énorme carnage. Une seule citation :
" Tout le peuple guerrier avec lui, Josué les prend à l’improviste (une coalition) près des eaux de Mérom. On fond sur eux : Yhwh les donne à Israël. On les frappe et on les poursuit jusqu’à Sidon-la-Grande, jusqu’à Misréfôt-Maïm, jusqu’à la vallée de Mitspé, à l’est, on les frappe au point de ne pas laisser un survivant. Puis Josué fait ce que lui a dit Yhwh : il coupe les jarrets de leurs chevaux et incendie leurs chars.
Après quoi Josué vient s’emparer d’Hatsor dont il tue le roi de son épée - Hatsor était auparavant la capitale de ces royaumes. On y passe au fil de l’épée tous les survivants voués à l’interdit, on n'y laisse rien qui respire. Quand à Hatsor, on l’incendie ".
Ce récit de la conquête compte un aspect essentiel : il est placé sous la protection divine. YAHVE guide le peule, anéantit ses adversaires, absout les massacres, accomplit des actes surnaturels comme l'arrêt du soleil lors de la prise de Gabaon pour prolonger la durée du jour.
La Bible décrit ensuite une longue période de désordre et de désunion à travers le livre des Juges pour arriver aux livres de Samuel puis à celui des Rois et le retour à une religion saine du dieu unique et sa récompense, la création d'une royauté dotée d'une centralisation à Jérusalem avec les grands personnages de David et de son fils Salomon le sage, le grand bâtisseur (du temple entre autre).
L'archéologie moderne détruit tout cet imaginaire à commencer par la mythique Jérusalem. Il semble bien qu'un roi David ait existé (stèle de Dan) mais ce ne fut pas un roi puissant mais celui du royaume du sud pauvre et en partie quasi désertique. Jérusalem n'était qu'un très modeste village de quelques hectares sans fortification et sans monument comme le temple de Salomon. Il en est de même des autres cités conquises dont on a repéré les emplacements, fouillé les vestiges, observé les traces d'une destruction brutale par incendie mais tout ceci à une date qui n'est pas celle de la supposée conquête de Josué. A cette date les Cités-Etats cananéennes étaient déjà détruites et cette destruction est à attribuer aux grands troubles qui ont affectés cette région et notamment l'invasion par ceux que l'on appelle "les peuples de la mer" qui ont sérieusement inquiété le puissant royaume égyptien.(le temple de Médinet-Habou dans la vallée des rois porte témoignage par une fresque du combat victorieux de Ramsès III contre les peuples de la mer). Cette destruction s'est étalée sur un siècle et n'a donc aucun caractère de guerre éclair que décrit la Bible. Comme le dit Finkelstein :
" Ce livre de Josué est l'expression littéraire et classique des aspirations et des rêves d'un peuple, à une époque et en un lieu donné. La personnalité surhumaine de Josué évoque la portrait métaphorique de Josias, le prochain sauveur de tout le peuple d'Israël"
L'archéologie moderne infirme l'existence d'un royaume unique mais confirme l'existence de deux royaumes distincts et inégaux. Le plus fort, celui du nord (Israël), tombera sous les coups des Assyriens et provoquera l'exil vers le sud. Dès lors c'est Juda qui s'empare de l'histoire du nord, l'histoire devient sudiste. Le déclin de l'empire Assyrien autorise les rois de Juda, Ezéchias d'abord, son petit fils Josias ensuite à tenter la reconquête et le Josué de la Bible est en fait le Josias historique.
Mais cette reconquête se heurte à la puissance égyptienne renaissante qui veut renouer avec sa politique expansionniste et dominatrice. Le pharaon Néko II fait assassiner Josias et réinstalle son autorité sur le pays de Canaan.
Un peu plus tard, en 586 ce sera l'intervention militaire de Babylone, la prise de Jérusalem, la destruction du temple (qui existait alors) et le début de ce qui est connu sous le nom, avec une majuscule, de l'EXIL. L'élite de Juda est donc déportée et doit adapter le culte à cette nouvelle situation. C'est le temps de la construction du culte israélique moderne avec la création des synagogues remplaçant le temple lointain détruit. La liturgie se construit, la bible s'affine et s'adapte à cette situation nouvelle. Les fêtes religieuses se mettent en place pour construire un passé. En fin de compte son rôle politique se poursuit mais, cette fois, non plus pour conquérir et construire mais pour réconforter et donner espoir aux exilés. Il faut attendre l'intervention des Perses pour marquer la fin de l'Exil, tout au moins pour ceux qui ont bien voulu revenir. Cette évolution de la Bible définie une source que l'on appelle "source P" (pour prêtres) ou source sacerdotale.
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Finkelstein s'est aussi interrogé sur l'origine des Israélites. Qui sont-ils, d'où viennent-ils ? Après la guerre des Six jours en 1967, l'occupation israélienne des hautes terres et l'éviction des Palestiniens (La Nakba) il a été possible de procéder à des recherches détaillées et des fouilles systématiques sur les hautes terres du flan est de cette région. Ces recherches montrent qu'entre le 10ème et le 12ème siècle avant JC cette partie dépeuplée a progressivement été le lieu d'un peuplement nouveau fait de petits villages et ceci sans guerre, sans violence, uniquement par transformation sociale. L'analyse des restes de ce peuplement, la forme des villages (en ellipse) conduisent Finkelstein à émettre l'hypothèse d'une lente transition d'ensembles humains nomades et éleveurs vers un statut de sédentaires éleveurs et agriculteurs. Selon F. cette mutation résulterait de la rupture des échanges traditionnels entre nomades et sédentaires, les premiers fournissant la viande et les seconds les céréales cultivées dans les zones plus basses et moins arides. Cette rupture serait due aux agressions et aux destructions des peuples de la mer. Par nécessité vitale les tribus nomades se sont fixées et leur trace se retrouve dans les formes elliptiques de leur village à l'image de leurs anciens campements de bédouins. L'absence totale d'ossements de porcs dans les fouilles présentée comme preuve d'un peuplement israélite est en fait la traduction du mode de vie des nomades qui n'élevaient pas de porcs non en raison d'un interdit religieux mais parce que cet élevage est impossible dans le désert. Telle serait l'origine du peuple israélite issu d'une lente évolution sociale et économique subissant comme tant d'autres les heurs et malheurs de l'histoire. On est loin du peuple unique, rassemblé autour d'un chef, adorant un dieu unique et s'emparant en quelques semaines d'un territoire qu'il conservera à tout jamais.
Cette théorie iconoclaste est contestée plus, me semble-t-il sous l'angle politico-religieux que sous l'angle scientifique. On comprend bien que cette nouvelle approche puise perturber la communication contemporaine en provenance de l'état d'Israël et des structures religieuses juives orthodoxes.
A la question initiale posée dans le titre de la planche vous avez déjà compris quelle était ma réponse. Oui la Bible hébraïque, celle de l'Ancien Testament, fut construite à des fins politiques (ce qui ne lui confère pas un statut mineur). Elle a pu devenir un livre religieux d'une grande importance dans l'histoire de l'humanité et elle constitue un fondement indiscutable d'une riche, mais pas unique, civilisation.
Mais par delà sa fonction ancestrale de livre religieux, la Bible constitue une nouveauté considérable dans ce vaste parcours de l'homme. C'est la première fois qu'un livre sert de support à la fondation d'un état et fourni une perspective politique. Ce n'est peut-être pas un hasard si elle a été écrite au 7ème siècle car c'était le temps d'une diffusion rendue possible par l'apparition dans cette région d'une écriture adaptée. Voici donc « l'objet livre » à l'aube d'une carrière qui n'a cessé de s'amplifier et de se diversifier et qui poursuit toujours son évolution et sa diversification. La Bible participe de l'histoire si riche et si mouvementée de cette région qui a toujours été affecté par les grands mouvements mais elle n'a d'autre autorité que celle d'un moment de cette histoire. Elle n'a de pérennité que dans sa fonction religieuse et donc dans la sphère privée des femmes et des hommes qui veulent s'y référer. Elle est malgré tout une première dans la pensée humaine en ce sens qu'elle confie à l'homme la responsabilité de son propre destin même si c'est par le truchement d'un dieu qui punit ou qui récompense mais qui se montre implacable.
Peut-elle aujourd'hui servir de base et de justificatif à un état juif ? Le mouvement sioniste répond oui et voila la Bible à nouveau sollicitée mais une Bible qui n'a pas fait son aggiornamento qui veut rester un livre de révélation divine et non plus une brillante construction humaine. De ce fait parce qu'elle les ignore, elle bafoue les caractéristiques humaines et sociales de cette région qui n'ont plus rien à voir avec celle du temps de Josias. On ne peut pas fonder un état sur un Bible figée, canonisée dans des périodes historiques aujourd'hui disparues. On ne peut rejeter l'existence, sur ce territoire, de l'Islam tout aussi fondateur de culture, de morale et de civilisation. Le pays de Canaan en 2013 ne peut être assimilé à celui du 7ème siècle av JC. La saga de la conquête par Josué n'est pas plus historique aujourd'hui qu'hier et ne peut servir de base constitutionnelle à un état théologique. Et quels sont aujourd'hui les véritables descendants de ces peuples qui ont vécu et souffert sur cette portion de terre ? Ce sont sans doute pour une part des Israélites mais ce sont aussi et autant les Palestiniens. C'est en respectant cette double filiation globale que l'on pourrait bâtir un état cananéen moderne et juste.
Mais cela est une autre histoire et peut-être le sujet pour moi d'une autre planche qui pourrait s'intéresser à la construction de l'état moderne d'Israël.