J’ai choisi de vous parler ce soir du silence. Nom commun qui ne m’est pas indifférent au regard de la symbolique qu’il représente. Peut être est ce aussi un clin d’œil au silence observé sur les colonnes faute de trouver les mots justes pour m’exprimer.
Au silence viennent s’opposer les mots, les paroles avec leurs redoutables effets d’interprétation. Souvent complices ou dévastatrices, les paroles sont l’expression audible d’une pensée tandis que le silence est source de réflexion ou d’interrogation.
Des mots couchés sur du papier, des mots jaillissants d’une bouche.
Déplacements d’air ou d’encre, capables du pire et du meilleur
Armes terrifiantes, complicités magiques, merveilleux véhicules, mensonges destructeurs.
Outils fondamentaux de communication, ornements stériles d’une conversation,
moments privilégiés, horribles mésententes, lumière, obscurité.
Les mots sont tout cela, guerre et paix. Il suffirait pourtant d’apprendre à les comprendre, à bien les respecter, à les aimer vraiment pour n’être que lumière.
Et le silence dans tout cela ? C’est un mot à la sonorité superbe. La première lettre de ce mot dessine deux courbes douces et opposées, symboles de la dualité qui nous dirige encore.
Les mots écrits sont-ils encore silence ; les mots parlés sont-ils absence de silence ? Le silence n’est pas un état mort, ni l’absence de bruits. Comment le définir ? Que représente-t-il ? Vaste sujet …
Enfant du silence, je le suis depuis toujours par penchant naturel. Enfant enfermé dans un milieu social empreint de certitudes, il m’est désormais possible de braver l’art de la libre expression dans une affirmation de ma personne. Se libérer du silence par une prise de parole est encore pour moi source d’effort et peut être aussi un manque de confiance en soi.
Les paroles n’ont été en rien, témoins de certitudes, en rien, susceptibles de me rassurer sur l’existence de toute chose.
En grandissant, le silence était encore pour moi un compagnon plus vrai que les paroles. Dès que je le pouvais, je savourais le calme, plongeant dans mes lectures. Les mots écrits, silencieux, réfléchis ont pour moi plus de poids, plus de sens, plus de pérennité. Sans cesse, si on l’écoute, le silence nous parle, nous renseigne sur l’état des lieux et des êtres, sur la texture et la qualité des situations rencontrées. Il est notre compagnon intime, l’arrière fond permanent sur lequel, tout se détache.
Le message oral d’un individu à un autre est facilement altéré et ouvre plus grande la porte à l’erreur, à l’interprétation, à l’incompréhension.
Et j’en viens à rêver d’un monde plein de regards, d’écoute et de silence. Le silence n’est-il pas le souffle du logos : car, avant que le monde soit, le silence a précédé le verbe, de même que la nuit a précédé le jour.
Pour ma part, le silence pur n’existe pas : il est une question d’amplitude, de relativité. Il fait partie du rythme de la vie. Toute circulation d’énergie fait du bruit, nos pensées font du bruit, les battements de nos cœurs font du bruit. Le silence relatif n’est pas le vide et diffère en cela de la véritable méditation, état bien particulier qui m’est encore étranger.
Nombreuses jusqu’à l’infini, les formes du silence dénotent des états multiples de l’être : désespoir, mépris, peur, respect, secret, attente, réflexion, rêve ou communion.
Selon les cas, le silence peut se décliner en trois états : d’abord il se fera fermeture, puis point de suspension et enfin ouverture.
LE SILENCE FERMETURE
Dans notre monde actuel, il est vrai que le silence se partage moins aisément que les bavardages. Certains silences crient, quémandent, se plaignent plus fort encore que des paroles. Le silence subi ne traduit souvent que solitude, indifférence et abandon. Ce silence là n’enrichit pas. Les personnes qui le subissent éprouvent un manque énorme que les bruits extérieurs peuvent dissimuler, mais ne peuvent combler. Passés les bruits, le silence se rétablit. Le même qu’auparavant, plus lourd encore, empli d’absence et de désespoir.
Que dire du silence mutisme ? Il est le reflet de la fermeture du cœur, des manques de la peur inconsciente de grandir. C’est un silence refuge.
Combien de personnes refusent le silence, miroir de leur conscience. Elles craignent d’y plonger, se voulant plus ou moins satisfaites d’une vie sociale bien remplie, cependant jamais vraiment légère. Elles refusent tout dialogue profond avec elles-mêmes et s’éparpillent en une débauche de paroles, souvent inutiles. Un proverbe turc dit : « La bouche du sage est dans son cœur, le cœur du fou est dans sa bouche ».
Parfois le silence peut devenir une arme. C’est le silence de l’indifférence, voire du mépris. En refusant de parler au cours d’une dispute, le combat cessera faute de combattants.
DE GAULLE disait « Rien ne rehausse mieux l’autorité que le silence, splendeur des forts et refuge des faibles ».
Dans l’histoire du monde, le silence est un préalable. Dans celle de bon nombre d’humains, c’est une fin. Une telle certitude donne au silence une connotation négative. Sans foi, sans recherche spirituelle, l’homme ne cesserait d’être paralysé par l’aspect tragique de sa destinée, du processus fatal, qui fait de sa naissance le commencement de sa fin. A la réflexion, le silence n’est menaçant que si on le charge de nos propres erreurs. L’homme doit vider sa mémoire, laver ses mots, nettoyer ses images et apprendre à regarder, apprendre à écouter le silence.
LE SILENCE : POINTS DE SUSPENSION
En travaillant sur ce sujet, j’ai rencontré des blocages. Le silence ne me parlait plus. Je n’y voyais que des points de suspension. Comme un funambule sur son fil, je ne pouvais ni avancer, ni reculer. Cette attente me paraissait stérile. Et pourtant, cette pause arrêtait le mouvement et venait l’éclairer. Il me fallait retrouver mon centre de gravité et, avec force et vigueur, continuer ma marche vers la lumière. Ces points de suspension devenaient de la paix en suspens, un espoir de métamorphose. Cette ponctuation devait me faire prendre conscience de la mesure du temps, de l’espace, de mon espace et de ma liberté de choix. C’est ainsi, que de silences en points de suspension, et de points de suspension en silences, je pourrais peut être toucher au subtil de l’âme, cœur animé et éclairé de la pierre brute que j’étais, que j’ai dégrossie mais que je polirais sans cesse.
LE SILENCE OUVERTURE
Bien utilisé le silence saura ouvrir toutes les portes. C’est la voie royale de l’intériorité, garant de la vigilance. C’est une donnée essentielle de toutes les disciplines et des règles spirituelles. Par sa densité, le silence est un passeur, un catalyseur : il provoque les communions et devient alors un breuvage, un élixir de longue vie.
Un écrivain ne parle pas, il couche des mots sur du papier, en silence et avec amour.
La lecture est souvent une aide pour découvrir les arcanes du silence. Il est des livres qui favorisent cette intériorité : l’imprécision dans la représentation est comme des non-dits qui appellent la participation, en laissant des vides textuels, des vides virtuels, que le lecteur peut utiliser à sa guise (d’où souvent une déception en voyant un film tiré d’un livre).
Quoi de plus fort qu’une complicité magique, qu’un partage mutuel, offert par des silences entendus, écoutés, bien compris, par des regards éloquents.
Quoi de plus puissant qu’un silence collectif après un concert, un opéra, un ballet réussi. Des milliers de spectateurs ont retenu leur souffle et après le déferlement des applaudissements, il règne alors sur la foule un immense silence, une parfaite communion, des vibrations intenses.
Pour moi, un des plus beaux symboles du silence, est la flamme d’une bougie dans la pénombre : sa flamme s’élève, brille, danse et pourtant elle va s’éteindre. Elle est toujours présente dans nos cœurs. A nous de raviver sans cesse notre flamme intérieure.
Une autre forme superbe du silence est la peinture. Là encore, le temps est suspendu, l’absence de mouvement appelle le silence. Dans certaines toiles, le silence devient cri : dans d’autres, le silence devient harmonie. Sachons laisser l’œuvre, seule juge du silence, seule messagère de sens, seule source de sérénité et effaçons nos discours pour regarder et écouter la peinture.
Il y a encore le silence des gestes : qui n’a jamais été émerveillé par l’éloquence silencieuse du mime MARCEAU ? Dans un autre domaine, par le silence des chasseurs à l’affût, des pêcheurs méditant sur leurs lignes, le silence des sourds-muets conversant entre eux ?
En ces lieux sacrés, il existe une autre forme de silence : le SILENCE MACONNIQUE
C’est que le silence anime un nouveau type de connaissance : celle de soi-même, des autres et de l’univers. Le secret n’est pas lié à une vision sectaire, à un non vouloir dire, mais plutôt à un non pouvoir dire, pour éviter, tant aux nouveaux initiés qu’à nous même, une mauvaise appréhension des principes maçonniques qui doivent se vivre et non se dire.
En conclusion, je dirai que le silence est comme une porte qui peut être verrouillée, fermée, entrebâillée ou grande ouverte. Dans ce dernier cas, à la lumière du silence, tous conflits, frictions et problèmes devraient pouvoir se dissoudre.
Entre le silence et la parole, il y a le cheminement et la maturité d’une expérience. En ce sens, Paul VALERY a pu écrire : « Silence, silence, chaque atome de silence est la chance d’un fruit mûr ».
TULLE, le 27/03/2009