« Citoyen du monde : triste constat »

En préambule et pour mettre le ton je voudrais faire trois citations tirées parmi une centaine résultant de mes recherches.

« Je ne suis ni d’Athènes ni de Corinthe, je suis citoyen du monde»  Socrate

«  Le droit même de vivre ne nous est donné que si nous remplissons notre devoir de citoyen du monde » Mahatma Gandhi

« La seule façon d’en sortir est de mettre la loi mondiale au dessus des gouvernements, donc de faire cette loi, donc de disposer d’un parlement, donc de constituer ce parlement au moyen d’élections mondiales auxquelles participeront tous les peuples » Albert Camus

Suite à toutes ces planches sur la mondialisation sous toutes ses formes, qu’elles me soient présentées ou qu’elles fassent l’objet de mon propre travail je revenais toujours a cette réflexion : A problèmes mondiaux, solutions mondiales : n’est- il pas temps de prendre conscience de notre citoyenneté mondiale ? Le temps est venu pour chaque homme de se sentir solidaire de l’humanité. Les Etats du monde entier n’entendront notre voix que si nous sommes une immensité rassemblée. Les germes de violence que constitue la misère du plus grand nombre à côté de l’abondance dont jouit une minorité d’habitants de la Terre, la pollution de l’atmosphère, celle de l’eau, l’accaparement, le gaspillage des ressources énergétiques fossiles et des matières rares, l’explosion démographique, le désordre monétaire, sont autant de problèmes qui se posent à l’échelle planétaire et qui dépassent la compétence des Etats. Les moyens de communications modernes, la toile Internet, les flux de capitaux sont pour l’instant les outils que maîtrisent à la perfection les multinationales capitalistes créant ainsi un nouvel ordre mondial transnational. Très bien ; alors apprenons et mobilisons nous en luttant avec leurs propres armes, devenons les nouveaux citoyens du monde. Outre un délicieux romantisme bercé d’utopie qui me transportera toujours, je pense que le fait de se sentir « citoyen du monde » est somme toute une identité naturelle vécue par bon nombre de personnes.

 Cependant, se dire citoyen du monde implique que « ce monde » existe en tant qu’entité politique fondée sur la démocratie (sans démocratie, pas de citoyenneté). A la fin de la deuxième guerre mondiale, de nombreuses personnes ont ressenti la nécessité d’un tel niveau supranational, et c’est ainsi que l’ONU est née de ce concept. Malheureusement, l’ONU s’est instituée sur une base internationale, et s’est, par le fait, condamnée à de nombreuses impuissances : plus de 200 conflits qu’elle n’a pu éviter, des centaines de millions de personnes ont perdu la vie dans des conditions inhumaines ; la guerre mais aussi la faim, la malnutrition et les maladies que l’on aurait pu éviter ; à cela s’ajoute le gaspillage des matières premières (effort de guerre et concurrence établie comme fondement de l’économie !) la liste est longue . De plus les accords internationaux peuvent être dénoncés à tous moments par les pays signataires et ne constituent donc pas de garantie d’application. Ce constat d’échec couplé à la globalisation de l’économie, a permis ces dernières années, de voir l’émergence d’un vaste mouvement  dit alter mondialiste, mouvement multiforme menant les actions les plus diverses comme écologie, solidarité transnationale, redistribution des terres, partage des richesses, économie solidaire, économie distributive, pacifisme, non violence, droits de l’homme, santé sans frontières, éducation pour ne citer que les plus médiatisées. Pour toutes ces personnes engagées, ces actions sont une manière de vivre au jour le jour leur citoyenneté mondiale, tout en gardant l’objectif de la démocratie mondiale à substituer au diktat de l’économie capitaliste. En clair ils veulent une mondialisation de la démocratie pour répondre aux errements de la mondialisation de l’économie qui elle est déjà réalisée. Mais quelle démocratie doit on exporter, pour quel gouvernement mondial, le monde est il prêt ; sommes nous bien surs que nous allons dans le bon sens ? Voilà les questions que je me pose et qui mettent un bémol dans cette marche utopique et  triomphale du bon citoyen du monde contre la mauvaise mondialisation.

Dans quel état se trouve notre démocratie française ? Je crois qu'elle est en danger, son état s’aggrave au fur et à mesure que notre économie s’effondre. La disparition des entreprises et la délocalisation sont acceptées comme une fatalité, j’ai l’impression que les citoyens font l’autruche ; il ne peuvent intégrer l’incertitude érigée en règle par la nouvelle économie ; il n’y a plus de réaction du citoyen,  dans une démocratie c’est le peuple qui dirige or le  peuple de nos pays Européens semble plongé dans une douce torpeur, seule la consommation semble susciter son intérêt, le politique est en déclin comme le solidaire nous vivons l’aire du repli sur soi ,il n’y a plus de vague porteuse, nous n’attendons plus de grand soir. Est-ce ce modèle que nous voudrions répandre ? D’ailleurs peut on parler d’une démocratie unique qui pourrait prétendre à se répandre ? Si oui, sous couvert de quelle mission ? Prenons, par exemple le cas des Etats-Unis : les grands « mondialisateurs » économiques et culturels de notre temps. Leur politique n’a-t-elle pas favorisé les dictatures en Amérique du Sud, n’a-t-elle pas façonné les talibans qu’ils combattent aujourd’hui ? La dictature est plus stable que la démocratie qui peut du jour au lendemain changer de bord pour les affaires ; la dictature c’est mieux, l’économie prend le pas sur le politique. N’oublions pas que ce débat est sur la place publique dans quelques pays nantis. Mais aux portes de ces pays, dont nous avons la chance de faire partie, il y a des  gens qui ne savent pas ce que c’est que la démocratie, qui n’ont même pas une idée de ce que cela peut être, pour qui le seul souci c’est d’arriver à survivre jusqu’à l’année d’après  - enfin ça c’est le meilleur des cas. L’inquiétude que j’ai aujourd’hui, c’est que cette démocratie, luxe de pays riche ne va pas tenir bien longtemps, tous ces milliards de gens ignorant le pouvoir du citoyen  sont livrés à d’autres qui eux ont bien compris le profit que l’on pouvait en  tirer et feront tout pour maintenir cet  obscurantisme. La démocratie est une empêcheuse d’exploiter en rond pour la multinationale. J’ai tellement entendu ce discours qu’il devient tarte à la crème.  Mais en  l’état notre démocratie est elle exportable ?

A mon avis, il y a un souci lié à notre histoire et à la pensée démocratique dans notre pays qui est intimement liée à l’histoire du développement de la raison. Pour nous, la démocratie est toujours apparue comme quelque chose qui devait se répandre. Et dès le début de notre conception démocratique moderne on a parlé d’une déclaration universelle des droits de l’homme. A partir du moment où l’on a trouvé cet idéal de raison, et que cet idéal contenait le concept politique de  démocratie, cette démocratie devait être répandue. Ce principe est maintenant ancré profondément dans notre philosophie mais qu’en est il du reste du monde ? Je crois que puisque le monde est la sphère la plus grande que l’homme peut appréhender, du moins jusqu’à présent, le principal problème qui peut se poser à une démocratie mondiale c’est le fait que tous les pays n’ont  ni le même niveau économique ni le même niveau politique. Qu’est ce que cela veut dire  par exemple pour un pays qui s’essaie à la démocratie depuis dix, vingt, cinquante ans, une démocratie mondiale ? Cela ne veut pas dire grand-chose,son peuple a-t-il seulement conscience que les problèmes sont mondiaux. N’oublions pas que nous parlons de concept de nations vivant la  démocratie tant bien que mal depuis deux cent ans, et même bien plus si l’on considère les prémices de la démocratie datant des grecs. Lorsque l’on va dans le Tiers Monde par exemple où les hommes s’essaient à la démocratie en copiant les valeurs de la révolution française ou de la révolution russe, on s’aperçoit qu’ ils n’ont pas du tout conscience de ce que peut être cette entité spirituelle, qui semble acquise maintenant par nos gènes.nous sommes différents par cet égrégore qui caractérise les peuples de l’occident développé. Les différences sont tellement grandes que les processus de démocratisation au niveau mondial semblent utopiques limite dangereux. Réfléchissons par exemple à ces pays qui font en ce moment leur Saint Barthélémy avec cent, cinq cents ans d’écart, pourquoi n’inventeraient ils pas  des chemins radicalement différents de ceux que nous avons suivis ? Rappelons nous tous ces massacres qui font que la France en est là aujourd’hui et doit encore progresser. Nous voudrions leur donner la possibilité d’aller plus vite mais sont ils en retard et ne doivent ils pas suivre leur propre chemin ? Les Touaregs n’ont-ils pas le droit de continuer à vivre avec les chameaux sans respecter les frontières ? N’ont-ils pas le droit de refuser nos OGM ? Les peuples oppressés comme des citrons n’ont il pas le droit aujourd’hui de profiter d’un peu de sucre glace même si cela nous parait une exploitation éhontée.Tous les systèmes de pensée sont à ce niveau là, légitimes Je pense qu’il faut  se méfier de l’ingérence. Est ce qu’une instance mondiale aurait le droit de s’immiscer dans la politique des pays ? Il faudrait que son pouvoir lui soit conféré par l’ensemble des peuples nous abordons là une nouvelle utopie, un nouveau « machin ».

Ne sommes nous pas un peu arrogants ? Quand un pays comme la France va dire aux Chinois : il faudrait arrêter parce que Tien Anmen, ça ne fait pas très bien sur le plan des droits de l’homme ils répondent « écoutez vous voulez vendre vos centrales nucléaires oui ou non ? » On dit aux indiens, il ne faudrait pas faire travailler les enfants ils répondent « attendez, vous voulez des ballons à 2€ que vous allez revendre 10€ oui ou non ?  », boycottons ces produits et les enfants mourront de faim comme avant. N’est ce pas avec un système centralisé dur que la Chine a pu donner à manger à son peuple ? Pour être honnête on doit se poser la question. En Afrique on a voulu faire comprendre aux gens ce qu’était un système démocratique ,résultat : les peuples sont exsangues et l’état, corrompu par l’argent, nous permet en coulisse  de tirer les ficelles de l’économie et de continuer le pillage des richesses. Est on en droit de donner des leçons ? Est-ce bien de démocratie que le monde a besoin ou de raison ? Ne pourrions nous pas simplement infléchir les politiques des pays pauvres en achetant plus cher pour financer leur développement, les idées abondent ils faut les canaliser et les expérimenter, nous en sommes au début.

Je pense que les lumières qui nous sont si chères restent le recours le plus sage à l’harmonisation de notre planète. Si la raison se mettait à l’office du monde pour gérer les problèmes complexes qui commencent à être pressants nous ferions le premier pas. La démocratie viendra lorsque la raison  régnera. Il y a un présupposé avant d’être démocrate, citoyen ou électeur, c’est d’être éduqué, informé et l’éducation c’est l’apprentissage de l’agencement de ses idées. C’est ce processus qui me semble naturel comme le fait de gérer les problèmes  du monde avec raison. Si ce n’est pas la démocratie c’est un passage obligé, en effet la démocratie s’impose d’elle-même à partir du moment où les gens commencent à avoir un certain niveau culturel et intellectuel et ont bien sur dépassé un certain nombre de contraintes matérielles comme la faim. D’ailleurs il me semble que passé un certain niveau  la soif démocratique semble  diminuer quand l’aisance du citoyen augmente, du reste nos sociétés sont en train de dévier vers l’individualisme. Nous voyons chez nous que plus on est nombreux, plus la représentativité fait loi et moins l’individu lambda a l’impression d’agir sur la politique .Qu’est ce cela pourrait signifier au niveau mondial ?  Je pense qu’il faut travailler à éclairer le monde afin qu’il devienne stable, l’avènement des lumières est toujours d’actualité j’ajouterai même « ça presse ».

On peut souhaiter en tant que franc maçon qu’à défaut de répandre la démocratie on doit faire triompher la raison. Mais qui détient la raison ? Chez les grecs la démocratie n’était pas la panacée en effet il parlaient d’aristocratie : le pouvoir au meilleur. Les meilleurs étant les personnes les plus aptes. Ce qui a été détourné des siècles plus tard pour donner l’aristocratie de naissance avec ses meilleurs désignés par un être divin. Quand je parle de stabilité, de raison, j’entends que l’enjeu c’est la survie de l’humanité. Sa survie matérielle parce que les problèmes de pollutions, de démographie etc, font que le monde est devenu instable et complexe donc fragile. Il suffit d’un petit Ben Laden pour ébranler une puissance que l’on croyait indestructible. Nos sociétés sont basées sur des équilibres on est à un stade ou il faut préserver la survie de l’humanité en tant que projet. Et qu’est ce que l’humanité, au-delà de tous les hommes qui la composent si ce n’est un espoir, un projet. Il est impératif que l’on remette en cause notre hiérarchie de valeurs et tout ce que l’on conçoit comme des problèmes de chez nous. Etre citoyen du monde, c’est aussi ouvrir son regard sur les autres et sur l’histoire. Imaginons un patricien romain qui débarquerait dans notre société sans rien connaître. Il débarque  comme ça par hasard. Il voit un individu dans son appartement qui a l’eau chaude, le chauffage, la lumière à tous moments de la journée. Pour lui qui est de la haute classe romaine c’est magique, il va considérer que cette personne dans l’appartement est semblable à lui, un oisif qui a même des jeux et du spectacle dans une boite carrée , à volonté. Il va se dire «  Ce doit être quelqu’un d’extrêmement important dans ce monde ». Puis il va dans la rue où il croise un homme d’affaires pressé avec son téléphone portable vissé à son oreille transpirant et courant derrière un taxi. Il va se dire « Ce doit être leur esclave à eux, et le machin qu’il a à son oreille ça doit être le signe de son appartenance à l’esclavage ».Tout est relatif. Ceci pour dire qu’il est nécessaire de revisiter notre conception du monde pour embrasser l’humanité entière, remettre en question notre système. Certes avec les moyens de communications actuels Internet, parabole etc. nous pouvons inonder la planète mais qu’est ce que l’on transmet ? Des films américains, la violence ,la pornographie ; nous ne prenons même pas la peine de s’assurer que nos propres valeurs tiennent la route. Mais existe il des valeurs universelles ? Pour répondre je crois qu’il faudrait tenter de vivre les valeurs des autres, si on passe par ce biais là on se rend compte de l’essentiel et on peut les mettre en relation avec les notres. Gageons qu’en ce début de XXI ème siècle la valeur primordiale reste pour la majorité «  celle de pouvoir manger » ne serait- ce que ça.

En cette année anniversaire du passage à l’orient éternel de notre frère Mozart il serait bon de l’ériger en exemple comme citoyen du monde, il a sillonné son monde s’imprégnant de toutes les cultures pour écrire une musique qui véhicule les valeurs universelles de l’homme.  La musique est vaste mais c’est toujours des notes enchevêtrées. Cet art montre bien que l’osmose est possible. Ne parle-t-on pas de « World Music » ? C’est avec tolérance, respect, communication et solidarité  que les nouveaux artistes du monde tissent leur musique des perles de chaque peuple pour nous restituer non pas une accumulation, mais une véritable création à chaque fois respectueuse de ses origines multiples C’est dans cet exemple que je puise un modèle qu’il est urgent , citoyen de mettre en œuvre.