Victor de Lanneau de Marey, un Frère de l'Intime Fraternité en 1789.

Un mail reçu via notre site Internet comportait cette demande : " je viens de lire grâce à votre site que le grand pédagogue Victor de Lanneau fut membre de la loge en 1789. Avez vous plus de renseignements sur lui à Tulle? Il était originaire de Bard près Semur en Auxois où il avait son château. Cette bâtisse est encore habitée par les descendants à qui j ai fait part de ma découverte."

Effectivement, cette personne avait trouvé son nom dans la liste des Francs Maçons ayant appartenu à notre Loge depuis son origine.

Qui était donc ce Frère considéré comme un grand pédagogue ?

Qui était cet homme qui, à sa mort le 31 Mars 1830, reçut tous les honneurs : éloges dans la presse la plus officielle et bien pensante, cérémonie au père Lachaise suivie d’une foule imposante composée, entre autres,  des sommités des lettres et de l’éducation. Quelques temps après sa mort, un monument encore présent aujourd’hui, fut érigé sur sa tombe. Le roi Louis Philippe sitôt installé, fit placer son portrait en bonne place à Versailles et dans le même temps, son nom fut donné à une rue proche du panthéon. Tout ceci, pour rendre hommage au fondateur du Collège Sainte Barbe et à un des plus illustres pédagogues de cette époque.

Or ce qui fait l’intérêt majeur de la vie de cet homme, fut la diversité de ses actions, tout d’abord prêtre, puis Jacobin membre de la Convention, franc maçon, professeur et directeur d’établissement scolaire, maire d’une ville importante, marié puis défroqué et enfin réhabilité et intégré dans la société parisienne.

L'enfance

Pierre Antoine Victor de Lanneau de Marey naquit  le 24 Décembre 1758 à Bard les Epoisses commune située en côte d’or. La famille De Lanneau faisait partie de la petite noblesse bourguignonne.

Mais, à partir de 1755, elle connut de grandes difficultés financières comme le prouvent de nombreux actes de ventes de terrains conclus avec des agriculteurs voisins.

Victor de Lanneau, d’abord destiné aux armes suivant l’ordre traditionnel d’âges des enfants, fréquenta le collège de La Flèche, puis l’Ecole Royale Militaire de Paris dès l’âge de 9 ans.

Suite au décès d’un frère, il fut contraint d’abandonner la formation militaire et d’entrer au séminaire pour ne pas laisser perdre le droit au canonicat au chapitre de Langres (acquis issu de la féodalité). Canonicat qu’il refusera quand même. Il entra dans l’ordre des Théatins, une congrégation de clercs réguliers fondée en 1524 à Rome qui était sensée réformer les mœurs ecclésiastiques et restaurer dans l’église la règle primitive de la vie apostolique. Il profita de cet engagement pour se consacrer à l’enseignement.

La période tulliste

La municipalité de Tulle ayant décidé de confier le collège à des théatins, il vint à Tulle où il fut professeur puis nommé directeur en 1788.

C’est à cette époque qu’il rejoint l’Intime Fraternité. En effet, il avait été initié Franc Maçon le 7 Mars 1785 à l’âge de 26 ans à la loge « le Contrat Social " à l’orient de Paris. 4 ans plus tard, en 1789, il apparaissait sur le tableau de Loge du 24 Juin en tant que Rose Croix comme l’étaient d’ailleurs la plupart des officiers de la Loge. Sa qualité " civile » mentionnée sur ce tableau de loge était : Clerc Régulier Théatin.

Nous en avions d'ailleurs déjà fait état dans le livre historique de notre loge paru en 1987 à l’ occasion du bicentenaire.

Il forgea à Tulle, des amitiés qui le suivirent tout au long de son évolution comme son collègue Joachim Lebreton, l’un des futurs fondateurs de la " décade philosophique (journal politique et littéraire) avec Amaury Duval et Jean Baptiste Say.

Dès l’été 1789, Victor de Lanneau apparaît au premier plan dans la vie municipale révolutionnaire. En Août, il fut nommé un des 8 capitaines de la garde Nationale de Tulle.

En Novembre, il présenta à la municipalité, la « Compagnie des écoliers " que ses élèves avaient formée, afin de s’initier aux exercices et de jouer un rôle à leur mesure dans la révolution. Ce fut la première expression de ce qui allait être sa ligne de conduite pédagogique, centrée sur la diffusion des idéaux révolutionnaires.

Le 14 Juillet 1790, il fut chargé de célébrer la messe pour la fête de la fédération. A cette occasion, il prononça son premier discours politique connu dans lequel il parla en ces termes : " Prenez vos armes et remplissez vous de courage... car il est meilleur de mourir dans le combat que de voir les maux de notre peuple ». Il participa à la fondation de la " Société des Amis de la Constitution » en Mai 1790.

Son engagement dans la révolution était de plus en plus important, ce qui devenait difficilement supportable pour ses supérieurs municipaux et ecclésiastiques. La municipalité de Tulle, conservatrice, ne comportait à l’époque, qu’une minorité favorable à la révolution et l’évêque, lui ordonna de cesser de prêcher les principes de la révolution tant à ses élèves qu’au public de Tulle. La réponse de Victor de Lanneau fut une véritable déclaration de guerre. Il la relata en ces termes :

" J’ai répondu que s’il craignait que son troupeau fut infecté des principes que je donnais à ses enfants, il pouvait lui interdire l’entrée de notre église, que je ne me déterminerai jamais à éloigner le public à l’instant de mes instructions, que cet  acte même de ma part ne pourrait qu’altérer infiniment la confiance que les pères de famille devaient avoir sur les principes que nous donnons à leurs enfants... J‘ai dit à Monseigneur l’évêque que son ordre me paraissait bien tenir à ce pouvoir arbitraire dont on venait de nous délivrer, qu’il me présentât une loi écrite et j’en serai bientôt le fidèle observateur. »

Il prêta ensuite le serment constitutionnel, ce qui acheva sa rupture avec ce milieu devenu hostile.

La vie à Autun

 En 1791, l’occasion de quitter Tulle se présenta et il partit pour Autun en compagnie de Jean Louis Gouttes, curé originaire de Tulle et nommé, en  succession de Talleyrand, évêque de Saône et Loire. Celui-ci le sollicita pour le seconder en tant que vicaire épiscopal.

A partir du 18 Avril 1791, date de son arrivée,  inconnu dans cette région, il connut une période où son évolution fut très rapide.

Tout d’abord, le 1° Mai, 2 semaines après son arrivée, il fut élu président du club des jacobins de la ville d’Autun.

Le 13 Novembre, il fut élu officier municipal et admis dans la société populaire.

Jusqu’à l’an II (1794), il fut à l’origine de toutes les grandes décisions prises à Autun. Avec d’autres membres du clergé constitutionnel acquis à la cause de la révolution, il put mettre en place un jacobinisme autunois.

En effet, cette ville comportait une couche dominante composée d’une hiérarchie ecclésiastique et d’une noblesse foncière hostiles à toute réforme et une importante proportion de commerçants et artisans.

Et comme les idées révolutionnaires étaient en général portées par la bourgeoisie, couche sociale pratiquement inexistante à Autun, cela permit au clergé constitutionnel de s’y substituer et de devenir l’élément moteur du jacobinisme local.

Victor de Lanneau apparait comme emblématique de la fraction du clergé rallié à la révolution.

Il a surtout introduit le thème de la pédagogie politique révolutionnaire. De la même manière qu’à Tulle il avait créé une organisation des collégiens, il développa à Autun ces mêmes idées mais à l’échelle de la société populaire. Il créa des « missionnaires patriotes " qui étaient chargés de diffuser les principes de la Constitution dans les campagnes.

Il fut à l’origine du congrès des sociétés patriotiques qui se déroula en Avril 1792 et fin Juillet de cette année, la Société Populaire le députa à l’assemblée législative à Paris.

Il y présenta, je cite : " Une adresse tendant à déclarer libres et indépendants et délivrer de tout joug monacal les individus qui composent les collèges ».

Profitant de son passage à Paris où il retrouva des familiers, sans doute entre autres, des frères de sa loge mère, le 8 Août, il se maria. Il épousa Louise Joachim Alix. Le contrat de mariage nous apprend que Victor de Lanneau avait, parallèlement à son action sociale, édifié un capital propre non négligeable, ce qui explique les  investissements qu’il fera par la suite.

Son retour à Autun accompagné de son épouse, provoqua un tollé dans les milieux hostiles aux mesures révolutionnaires, mais il fut mieux accueilli par les autorités. Pour preuve, la municipalité approuva les résultats de sa députation à Paris et il fut élu maire, le 17 Septembre, 16 mois seulement après son arrivée dans cette ville.

Son mariage ne le fit pas immédiatement renoncer à ses fonctions religieuses, il signait d’ailleurs ses actes par cette formule : " Victor Lanneau, vicaire épiscopal marié ». Ce mariage provocateur affirma son patriotisme et fit de lui un porte parole des révolutionnaires les plus prononcés.

Mais il entra en conflit avec les autorités religieuses, et le 26 Décembre 1792, il se défendit en ces termes des attaques multipliées qu’il subissait : " La loi naturelle, voila ma loi suprême, voila la seule vraie, parce qu’elle ne tient rien de la main des hommes. j’y trouve le principe et le précepte de toutes les vertus humaines, sociales et religieuses ; j’y vois le bonheur de l’homme privé et la prospérité publique ; je lui serai donc constamment fidèle, je la défendrai, je la suivrai toujours, cette loi première malgré les cris de l’ignorance et les injures du fanatisme. "

Il fut soutenu par le directoire qui déclara : « Des prêtres, des gens ennemis des principes et de la raison lui font un crime de cette démarche. Mais le citoyen Lanneau s’est mis au dessus des préjugés en contractant mariage. Il a donné une preuve d’un citoyen éclairé, d’un homme qui ne sait pas transiger les principes d’une saine philosophie. "

A ses fonctions de vicaire épiscopal, de maire et de membre le plus puissant de la société populaire, il ajouta deux autres activités qui lui permirent de donner de l’ampleur à son action. Il fut nommé principal du collège et il créa sa propre imprimerie. Deux instruments d’action qui lui permirent de mettre en pratique une éducation civique fidèle aux principes de la révolution et de diffuser les thèmes de celle-ci au-delà des seuls élèves.

Mais il ne put trop longtemps persister dans son rôle religieux qui devenait de plus en plus éloigné de ses convictions. Le 21 Brumaire an II donc le 11 Novembre 1793 Lanneau abdiqua publiquement ses fonctions de prêtre en déclarant : " Citoyens, depuis 14 mois, j’ai abandonné l’autel pour ma femme, et bientôt un enfant prouvera que mes sacrifices ne furent plus imaginaires. Mais à côté de ce contrat de la raison et de la tendresse, existe encore le brevet de l’imposture et du charlatanisme que j’ai reçu des mains de la superstition ; j’ai frémi quand j’ai aperçu ce honteux contraste : je m’empresse de le détruire, hâtez vous donc de le livrer aux flammes, car j’aurais à rougir, si l’enfant qui va me naître me surprenait des titres de prêtre ; c'est-à-dire des titres à l’indignation des sages... »

Cette déclaration donna le signal de la déchristianisation à Autun et Lanneau en prit la direction. Il déclara : " Les temples ont été tous fermés, la raison s’en empare. Si nous n’avons plus de prêtres, qu’on nous donne des instituteurs. »

Il fut nommé en Décembre 1793 « Agent National ". Cette fonction lui donna la charge de l’organisation de la politique de Salut Public d’Autun et de sa région : réquisition des subsistances, instruction des enquêtes, organisation des fabrications de guerre et également, la mise en place de la manufacture d’armes d’Autun. Pendant cette période, ses fonctions le conduisirent également à envoyer 10 personnes au tribunal révolutionnaire.

Il continua pourtant sa démarche envers l’opinion. Il prit en charge la rédaction et l’impression de " La Sentinelle d’Autun ». Cette publication fut le support de propagande du culte de la Raison et de la Nature, soutenant les valeurs du mariage et de la famille et vantant les mérites du Théàtre patriotique.

Un arrêt du 20 Juillet 1794 (7 jours avant la chute de Robespierre) signé entre autres par Saint Just mit fin à ses fonctions d’Agent National.

Il fut ensuite dénoncé comme terroriste par la Société populaire d’Autun et incarcéré jusqu’au 16 Octobre 1794. Il quitta alors Autun après avoir vendu son imprimerie et réglé ses affaires personnelles. Il rejoignit sa femme à Paris.

Paris et le collège Sainte Barbe

A Paris, il s’installa comme imprimeur, mais en Mars 1795, sur dénonciation anonyme venue d’Autun, il fut de nouveau arrêté par le comité de sureté générale de la Convention. Son avocat adressa une lettre à la convention pour demander la libération de Lanneau. Ce fut un plaidoyer pour les Jacobins, sauveurs de la Révolution, il fut compris et Lanneau aussitôt libéré.

A partir de cette période, son engagement politique devint plus modéré. Il resta imprimeur et fut nommé chef de bureau de l’Instruction Publique.

On lui proposa la direction de l’Opéra de Paris qu’il déclina au profit de la direction du Prytanée, l’ancien collège Louis le Grand.

Ces fonctions ne lui permettant quand même pas de mettre en pratique ses idées pédagogiques, il loua les locaux désaffectés de l’ancien collège religieux Sainte Barbe près du Panthéon et les restaura à ses frais. Il voulait recréer un enseignement secondaire de qualité, ce que les écoles centrales n’avaient pas réussi à faire à l’époque. Il ouvrit son établissement sous le nom de Collège des Sciences et des Arts et eut tout de suite un grand succès. Dès le concordat, ce collège laïc reprit malgré tout le nom de Sainte Barbe et accueillit entre autre des enfants d’anciens révolutionnaires plus ou moins persécutés tels ceux de Camille Desmoulins.

Il put y mettre en application les principes déjà esquissés dans le règlement du collège de Tulle. On les retrouve dans le célèbre règlement de Sainte Barbe.

Sa vie de 1798 à 1830, fut celle d’un homme vénéré par son autorité morale sur les élèves et les professeurs de son école. Son passé révolutionnaire fut tacitement oublié et il eut même des velléités de rapprochement vers l’église telle que la demande de réhabilitation de son mariage en 1803 date à laquelle il avait 5 enfants.

Toute la pédagogie de Lanneau pourrait se résumer à « Instruire les citoyens par l’instruction tant civique que proprement scolaire. " Son but était de véhiculer les idées révolutionnaires et de favoriser la mise en pratique des principes nouveaux : Une morale familiale et sociale associée à des principes politiques tels que le droit à la propriété subordonné au droit à l’existence des plus pauvres, la constitution, les droits de l’homme et la république

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Si vos pas vous amènent à Paris, vers le Panthéon, dans la rue Victor de Lanneau, vous pourrez avoir une pensée pour ce Frère qui a partagé un moment la fraternité intime de notre atelier en des temps où tout était en construction.